Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
Face au changement climatique, la décennie actuelle est cruciale. D'ici 2030, la Chine, les Etats-Unis et l'Europe devront accélérer fortement l'effort de réduction de leurs émissions carbone. Cela exige des investissements massifs à un moment où la France accumule les contre-performances économiques. La bonne stratégie est de construire une politique de l’offre pour le climat afin d’enclencher un cercle vertueux alliant décarbonation, compétitivité et croissance.
Sans un "changement radical" l’Europe n’aura pas les moyens de faire face aux grandes transitions en cours, transition écologique en tête: le rapport sur le marché unique d’Enrico Letta et ce que l’on sait du prochain rapport sur la compétitivité de Mario Draghi convergent sur ce constat. Pour atteindre leurs objectifs climatiques, la France comme l’Europe doivent investir massivement et doubler à l’avenir le rythme de réduction des émissions de CO2. Or, l'Europe perd du terrain en termes de compétitivité et de productivité, tandis que la France accumule du retard sur l’ensemble des critères de performance économique.
Conscient de ce défi, le pôle Climat de Rexecode a conduit une comparaison en profondeur des politiques climatiques des Etats-Unis, de la Chine, de l’Union européenne et de la France en tenant compte de leur interaction avec la performance économique. Les conclusions présentées dans notre document de travail montrent que, sans attendre les changements promis pour l’Union européenne, une priorité pour la France est de retrouver le chemin d’une croissance plus soutenue et plus équilibrée. Nous formulons plusieurs propositions dans ce sens.
En 2021 et 2022, pour la première fois depuis l’Accord de Paris (2015), la Chine, les pays européens et les Etats-Unis, ont affiché explicitement leurs objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (Nationally Determined Contributions ou NDC). Ces objectifs convergent sur une réduction à zéro des émissions nationales d'ici 2050 (2060 pour la Chine).
Pour atteindre leurs objectifs, tous reconnaissent qu’il faudra accélérer fortement le rythme de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les Etats-Unis devront multiplier le rythme par 5. La Chine devra stabiliser le niveau de ses émissions avant 2030, puis le réduire de près de 10% par an. L'Union Européenne et la France devront plus que doubler la tendance antérieure. Et il faut agir rapidement car tant que le flux d’émissions est positif, le CO2 s’accumule dans l’atmosphère et accentue le réchauffement climatique. Ces constats font clairement apparaître le caractère critique de la décennie actuelle.
Les performances économiques européennes, qui n’étaient pas défavorables, sont aujourd’hui menacées. Au cours des deux dernières décennies, la progression du PIB moyen par européen a été la même que celle du PIB moyen par américain, et l’Union européenne dégageait un excédent commercial extérieur proche celui de la Chine. En revanche, l'Europe perd du terrain en productivité et sa compétitivité est de plus en plus remise en cause. Elle est en outre confrontée à des prix de l’énergie près de deux fois plus élevés qu’aux Etats-Unis et en Chine. Une partie des écarts de prix vient des différences d’exposition aux sources d’énergies fossiles mondiales, l'autre des politiques de tarification du carbone.
Sur le plan des émission de gaz à effet de serre (GES), la France avait plutôt pris de l’avance sur la moyenne européenne grâce à l’électricité nucléaire. Mais cet écart se réduit, et surtout, la France accumule du retard sur l’ensemble des critères de performance économique: moins de croissance par habitant (0,8% par an sur la décennie 2013-2023 contre 1,6% par an pour la moyenne européenne et les Etats-Unis), une productivité globale des facteurs en recul, un déficit extérieur structurel qui reflète un recul de compétitivité, peut-être enrayé mais pas encore inversé, et un déficit des finances publiques parmi les plus élevés d’Europe. Cette situation limite fortement les marges de l’action climatique de la France.
Etats-Unis, Chine et Union européenne, convergent sur les objectifs de décarbonation. Ils divergent sur les stratégies mises en oeuvre, qui paraissent moins favorables à la croissance en Europe et en France.
Cette stratégie s’est concrétisée dans plusieurs lois récentes: la loi Infrastructures (2021), la loi Chips and Science Act (2022), et surtout l’Inflation Reduction Act (2022) dont le volet climat prévoit de nombreux crédits d’impôt pour les projets vraiment américains en termes d’implantation territoriale et de contenus technologiques. L’impact des politiques incitatives s’est vu très vite: les dépenses de constructions industrielles aux Etats-Unis ont plus que doublé entre 2021 et 2023.
La stratégie de la Chine s’inscrit dans une longue tradition de planification et un fort engagement public dans l’orientation des investissements. Le résultat est que la Chine a conquis des positions dominantes sur le marché mondial des énergies renouvelables et dans certaines technologies climatiques comme les batteries pour véhicules électriques.
(Seqe UE ou EU ETS). En imposant aux industriels d’acheter autant de quota qu’ils émettent de tonnes de carbone, le système incite les industriels à investir dans des process moins émetteurs de carbone. Le revers de la médaille est que le prix du carbone, dix fois plus élevé en Europe qu’en moyenne dans le monde, grève les coûts de production. Quant à l’incitation attendue elle est limitée par la forte instabilité du prix de marché du carbone.
D’autres interventions sont décidées périodiquement par l’Union européenne dans des "paquets législatifs". Le plus récent d’entre eux, le paquet Fit for 55 ("Ajustement à l’objectif 55") est un ensemble d’une quinzaine de textes qui posent des règles et des interdictions, dont un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). En réaction à l’Inflation Reduction Act américain, la Commission européenne a présenté un projet de règlement (le Net Zero Industry Act). Ce texte, largement orienté vers les procédures, est en fait très différent de l’IRA.
Ainsi, la liste des leviers de l’action climatique est à peu près partout la même. Mais leur mise en œuvre et la façon de les combiner sont différentes de sorte que leurs impacts macroéconomiques sont aussi différents. Un critère de comparaison économique peut consister à classer les leviers de décarbonation selon qu’ils jouent plutôt dans le sens d’une stimulation de l’offre (plutôt favorable à la compétitivité et la croissance potentielle), ou dans le sens d’une régulation, voire d’une restriction, de la demande (plutôt neutre ou défavorable à la croissance).
La Chine et les Etats-Unis privilégient des leviers climatiques tournés vers la stimulation de l’offre. Hésitant entre l’offre et la demande, l’Europe et la France régulent, avec un penchant pour une restriction de la demande.
Une électricité peu carbonée grâce au nucléaire, des entreprises mondiales de tout premier plan dans certains domaines verts, et ce qui est moins connu, un flux de brevets soutenu dans les technologies vertes.
Un faible potentiel de croissance, 30 ans de désindustrialisation, des budgets publics exsangues, un commerce extérieur très déficitaire. Comment dans ces conditions réaliser la masse des investissements nécessaires pour la transition climatique, autour de 70 milliards d’euros par an en plus de la tendance, selon notre évaluation de 2022.
En réponse, Rexecode propose de changer de vision. Au lieu de subir la politique de décarbonation comme un fardeau, l’idée est de faire de la décarbonation un levier de compétitivité et de croissance. La stratégie pour la France, et elle pourrait l’être aussi pour l’Europe, est de construire une politique de l’offre pour le climat afin d’enclencher un cercle vertueux décarbonation à compétitivité à croissance à décarbonation. Une opportunité exceptionnelle se présente avec l’essor du marché mondial des technologies et des investissements de la décarbonation qui n’en est qu’à ses débuts. Il faut la saisir opportunité.
Nous proposons cinq lignes d’action pour réussir ce basculement, atteindre nos objectifs climatiques et remettre la France sur une meilleure trajectoire économique.
1. Consolider la croissance potentielle
2. Rendre l’action publique moins coûteuse et plus efficace
3. Faire de la décarbonation un levier de compétitivité
4. Attirer l’épargne vers l’investissement par des fonds à capital garanti
5. Imaginer une planification globale et collective.