Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
Comparé aux autres pays européens, l’investissement des entreprises industrielles françaises est particulièrement élevé dans les actifs immatériels mais plus faible dans les actifs matériels que sont les machines et équipements. L’efficacité de ce schéma d’investissement, essentiel pour construire l’"industrie du futur", reste toutefois difficile à percevoir en termes d'indicateurs macroéconomiques (emploi, productivité, compétitivité à l'exportation). Une note de France Stratégie et de la Fabrique de l'Industrie examine ce paradoxe.
Depuis une dizaine d’années, l’investissement des entreprises industrielles est plus élevé en France que dans la plupart des autres pays européens. En 2016, ces dépenses représentaient 25,7% de la valeur ajoutée en France contre 19% en Allemagne (seule la Suède affiche un taux plus élevé).
Pourtant, les performances françaises en termes de compétitivité ne reflètent pas cet effort. Pour comprendre ce paradoxe, France Stratégie et la Fabrique de l’Industrie comparent la nature des investissements des entreprises françaises et européennes (Allemagne, Espagne, Italie, Suède, Pays-Bas et Royaume-Uni) depuis 1995.
Leur étude aboutit à plusieurs constats :
• L’investissement immatériel des entreprises (R&D, logiciels et bases de données, publicité...) serait beaucoup plus élevé dans les industries manufacturières en France que dans les autres pays européens : autour de 23% de la valeur ajoutée, contre 14% en Allemagne et 8% en Espagne en 2013.
• La R&D est la première destination des efforts d'investissement de l'industrie. L'investissement en logiciels constitue aussi une singularité française (21,2% de la FBCF manufacturière contre 5,5% en Allemagne). Cet écart pourrait être lié à un biais statistique (problèmes d'harmonisation de comptabilité nationale).
• Les entreprises industrielles françaises investissent moins dans les machines et équipements que les entreprises européennes. La part des machines-équipements dans la FBCF manufacturière est de 23% en France contre 43% en Allemagne en 2015. Et quand elles le font, il s’agit davantage de renouveler des équipements que de moderniser ou développer des capacités de production. Ces dépenses d’investissement ont diminué de près de 20% entre les périodes 2003-2006 et 2012-2015 alors qu’elles ont augmenté de 19% en Allemagne.
• Le taux de robotisation, souvent cité pour illustrer le manque de modernité du parc productif français, est effectivement plus faible qu'en Allemagne, mais surtout en raison de la moindre part de l'industrie automobile dans l'économie française.
• Le poids des investissements "non productifs" (construction et mise en conformité réglementaire) ne semble pas freiner les investissements productifs.
En conclusion, il n’y aurait pas de déficit d’investissement dans l’outil de production industriel français, mais un effort insuffisant de modernisation dans le segment des machines et équipements. Sans qu’il soit démontré que ce déficit, concomitant avec le recul de notre compétitivité industrielle à l’export, en soit la cause. Néanmoins, le rapport qualité-prix est le point faible des produits français.
Selon les auteurs, le niveau d’investissement plus élevé dans les actifs immatériels pourrait signifier que les entreprises françaises ont préféré conserver leurs activités de conception en France et délocaliser leurs activités de production dans des pays à moindre coût.
La structure de l’investissement des entreprises françaises aurait donc joué en faveur de leur profitabilité mais au détriment des créations d’emploi, des gains de productivité et des exportations. Ce qui plaide en faveur d’une amélioration de l’attractivité du territoire pour les activités de production.
L’investissement des entreprises françaises est-il efficace ?
France Stratégie / La Fabrique de l’Industrie
Sarah Guillou, Caroline Mini et Rémi Lallement – Préface de Pierre-André de Chalendar, Louis Gallois et Gilles de Margerie - Les Notes de La Fabrique, Presses des Mines, 26 octobre 2018
voir aussi la note de synthèse : Les Synthèses de La Fabrique N°22, 26 octobre 2018)
Sur le blog de l'OFCE : La singularité immatérielle de l’investissement des entreprises en France – Sarah Guillou, 26 octobre 2018