Focus
Perspectives économiques à moyen terme
D'ici 2050, aux rythmes actuels, les émissions mondiales de gaz à effet de serre progresseront de 11% selon les projections de Rexecode alors qu'elles devraient baisser d’au moins 60% pour limiter le réchauffement climatique. La France n'atteindrait pas non plus ses objectifs. Un changement de stratégie s'impose combinant optimisation des coûts, innovation et déploiement industriel. La France peut s'appuyer sur l'atout de son mix électrique faiblement carboné pour faire de la décarbonation mondiale un levier de croissance.
La lutte contre le réchauffement climatique sera-t-elle la grande perdante du nouveau contexte géopolitique? L’Europe et la France diminuent leurs émissions de gaz à effet de serre, mais un sondage récent IFop/NoCom montre combien les français font reculer la transition écologique dans l’ordre de leurs priorités. Les émissions baissent aux États-Unis aussi, mais leur réduction future est désormais bien incertaine au vue des annonces du président Trump dans le domaine énergétique. La Chine de son côté voit le pic de ses émissions se profiler, tant en raison du ralentissement de sa croissance que de la dynamique récente de sa décarbonation.
Quoiqu'il en soit, la baisse probable des émissions des trois grandes zones économiques que sont l'Union européenne, les Etats-Unis et la Chine sera insuffisante pour limiter le réchauffement climatique à 1,5° voire 2°C. L’intensité énergétique de l’activité dans le "reste du monde" diminue mais pas l’intensité carbone de l’énergie qu’il consomme. En prolongeant ces deux tendances, le "reste du monde" verrait ses émissions progresser de 35% d’ici 2050 au point de représenter alors 63% des émissions mondiales. Au total, aux rythmes actuels, les émissions mondiales de gaz à effet de serre progresseront encore de 11% entre 2024 et 2050 selon les projections de Rexecode, quand le GIEC recommande une baisse d’au moins 60% à cet horizon.
Les émissions domestiques de la France ont baissé de 32% depuis 1990 et notre empreinte carbone, qui tient compte du contenu carbone de nos importations, de 13%. Le rythme de réduction actuel est insuffisant pour atteindre la neutralité carbone de la France en 2050. Nos émissions nettes seraient encore de l’ordre de 217 Mt CO2 en 2050 à comparer à un objectif d’émissions nettes nulles. L’évolution de notre empreinte carbone, quant à elle, est plus incertaine, car elle dépend des comportements de consommation comme de la décarbonation de nos partenaires commerciaux.
Le rythme de réduction actuel des émissions en France est insuffisant pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Dans le même temps, 63% de la hausse des émissions mondiales de CO2 se fera hors du trio Chine-USA-Europe
La concrétisation de notre propre décarbonation résulte très majoritairement de décisions décentralisées des ménages, des entreprises et des administrations publiques. Nous avons ainsi estimé que des besoins d’investissements supplémentaires de 60 à 80 milliards d’euros par an seront nécessaires pour infléchir notre trajectoire. Dans le contexte archi-tendu de nos finances publiques et avec une croissance atone, chacun peut mesurer l’ampleur de l’effort à accomplir. Il ne laisse pas d’autre choix que celui de l’optimisation.
Un premier levier consiste à améliorer l’efficacité globale des politiques publiques. Plus de 200 politiques et mesures de décarbonation sont recensées pour un montant global de 34 mds d'euros, mais leur dispersion et leur faible insertion dans une stratégie économique d’ensemble limitent leur impact. Surtout, il va être nécessaire de concentrer nos efforts là où l’impact climatique sera maximal pour chaque euro déployé et compléter cette stratégie en favorisant l’innovation et la compétitivité au service de la décarbonation. L’espace de référence pertinent pour mesurer cette logique coût/efficacité climatique face au bien public mondial qu’est le climat ne peut également se borner aux frontières nationales.
La France doit mobiliser l’avantage de son mix électrique faiblement carboné pour attirer des industries nouvelles et développer les industries existantes. L’exploitation de cette opportunité permettrait de diminuer les émissions importées et l’empreinte carbone de la France. Des stratégies de localisation industrielle sont à accélérer sur un certain nombre de technologies clés et les filières associées : stockage de l’énergie, mobilité décarbonée, biogaz et bioénergies, hydrogène bas-carbone, captage et séquestration du carbone, datacenters bas-carbone...
C’est l’optimisation des coûts par tonne de CO2 évitée combinée à cette politique d’innovation et de déploiement industriel qui permettra de mieux concilier décarbonation de la France, du monde, et croissance économique. Pour contre-intuitive qu'elle apparaisse de prime abord, notre capacité à contribuer à la décarbonation du monde est un véritable levier de croissance et constitue la meilleure manière de réconcilier les Français avec l'aspiration à la transition écologique.
> Denis Ferrand, chronique parue dans Les Echos du 31 mars 2025
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