Une étude de la Banque de France analyse le déclin récent de la productivité du travail en France par rapport à sa tendance pré-Covid. Ce décrochage reflète surtout un rythme de créations d’emplois bien plus dynamique que celui du potentiel productif de l’économie française. Près de la moitié du recul reste cependant inexpliqué.

La productivité apparente du travail * décline depuis la crise sanitaire en France. Au 3° trimestre 2023, il reste un écart de -8,5% par rapport à la tendance pré-Covid, c’est à dire par rapport au niveau de productivité par tête qui aurait été atteint si cette dernière avait progressé selon la tendance de 2010-2019. Un décrochage qui "surprend par son ampleur et sa persistance", et par rapport à la moyenne de la zone euro (– 2,4% au 2° trimestre 2023).

Un article du Bulletin de la Banque de France identifie un ensemble de causes, temporaires ou permanentes, permettant d'expliquer un peu plus de la moitié (4,9%) du décrochage productivité.

Les facteurs durables expliquent 3,1 points de pourcentage du décrochage, dont le recours massif à l’apprentissage (1,2 pp), les changements de composition de la main d’œuvre (1,4 pp) et les effets des confinements ** (0,4 pp).

Les facteurs temporaires expliquent 1,8 pp, la rétention de main-d’œuvre dans les secteurs confrontés à une baisse transitoire d'activité essentiellement (1,7 pp).

Au final, une partie importante du décrochage, même liée à des facteurs durables, traduit plutôt un dynamisme de l’emploi, soutenu par les politiques publiques, qu’une perte du potentiel de production. D’autres facteurs ayant joué un rôle pendant la crise sanitaire, comme les arrêts maladie, l’activité partielle, la régularisation de travailleurs non déclarés ou le remplacement de travailleurs détachés par des employés locaux "ne contribuent plus, ou seulement de manière marginale".

La Banque de France évoque "d’autres pistes possibles" puisées dans les estimations d'autres institutions, dont Rexecode

Parmi les pistes non retenues dans son article, notamment "parce qu’elles n’ont pu être mises en évidence quantitativement", la BdF évoque un gain de parts de marché des activités intensives en main-d’oeuvre qui, s'il "n’est pas décelable au niveau des branches, pourrait se révéler substantiel à un niveau plus fin", l’augmentation du nombre d’emplois non salariés à faible durée du travail, ou encore des effets de coûts dans l'industrie.

Dans son panorama des études précédentes, la BdF souligne que "seul Rexecode soutient le rôle prépondérant des effets de composition de main-d’oeuvre (-4 pp de productivité au 2° trimestre 2023 en incluant l’effet de l’apprentissage, ce qui est nettement plus important que les 2,6 pp retenus dans cette étude pour le cumul de ces deux effets)". Rexecode pointe aussi "le possible rôle de l’adaptation forcée des entreprises à la transition écologique, à la crise énergétique ou plus largement à l’évolution de leurs marchés mondiaux".

Synthèse par la Doc de Rexecode, lien vers le document ci-dessous.

Comment expliquer les pertes de productivité observées en France depuis la période pré-Covid ?
Antoine DEVULDER, Bruno DUCOUDRE, Matthieu LEMOINE, Thomas ZUBER,
Bulletin de la Banque de France N°251-1, 22 mars 2024

* Productivité apparente du travail : rapport entre la valeur ajoutée produite et le nombre de personnes employées

** perturbation des chaînes de valeur et de l’apprentissage scolaire ou professionnel, éviction à long terme de l’investissement par la dette publique, etc.

Voir aussi :

Baisse de la productivité du travail dans l’industrie en France en 2023 : un constat et des leviers d’action
Pauline LESTERQUY, Edith STOJANOVIC, Honorine DEKONINCK, Julien ZORY,
Bulletin de la Banque de France N°251-2, 22 mars 2024

Dans le cadre de son étude sur la baisse de la productivité apparente du travail en France depuis 2019, la Banque de France quantifie les différents facteurs qui peuvent affecter la productivité du travail dans le secteur de l'industrie manufacturière (emplois, heures travaillées, productivité horaire) et identifie les leviers et obstacles potentiels aux entreprises pour augmenter leur productivité. Elle s’appuie sur les résultats de son enquête sur les conditions de production, réalisée entre septembre et décembre 2023 auprès des entreprises de l’industrie manufacturière, et dont le bloc thématique portait cette année sur les évolutions de l’emploi et de la productivité du travail.

En 2023, divers facteurs ont affecté la quantité et la productivité des heures travaillées dans l’industrie manufacturière, notamment l’absentéisme et les emplois vacants. L’alternance a de nouveau progressé dans 27% des entreprises, et la rétention de main-d’œuvre s’est accrue dans 11% des entreprises. Parmi les déterminants de la baisse de la productivité du travail depuis fin 2019, les entreprises ont cité : la hausse du coût des matières premières et de l’énergie (92%), des difficultés d’approvisionnement (40%), des problèmes de recrutement (81%), un manque de compétences (60%) ou de qualification du personnel recruté (43%).

Les principaux leviers d’amélioration de la productivité, selon les entreprises, seraient "une meilleure adéquation de leur main-d’œuvre et l’investissement dans des équipements plus performants. Mais certaines s’estiment freinées par le manque de capacité financière, de compétences en interne ou encore l’incertitude réglementaire pour passer à la mise en œuvre".

L’incidence des chocs récents et des changements structurels en cours sur la croissance de la productivité dans la zone euro
Bulletin économique de la Banque centrale européenne, N.2/24, mars 2024

Synthèse des résultats des travaux récents sur la productivité menés par un groupe d’experts du Système européen de banques centrales (SEBC), cet article examine d'abord l’incidence de la pandémie de Covid-19 et des mesures de soutien sur la productivité et la réallocation des ressources d’un secteur d’activité à l’autre et au sein des secteurs. Les aides auraient freiné mais pas empêché les réallocations favorables aux gains de productivité. A plus long terme, les effets de la crise sanitaire et des changements de comportements associés (dont le télétravail) sont difficiles à anticiper. Il analyse ensuite les effets potentiels des transitions numérique et verte sur la productivité. Une analyse empirique pour 6 pays de la zone euro montre que la croissance de la productivité des entreprises très polluantes baisse à mesure que la politique environnementale se durcit (hypothèse de Porter) mais cette dernière stimule l'innovation porteuse de gains de productivité à moyen terme.