Si la politique de baisse des charges sociales est dans son principe largement consensuelle, sa mise en oeuvre fait encore débat. Faut-il cibler les bas salaires ou en faire bénéficier aussi des emplois plus qualifiés ? Michel Didier et Jean-François Ouvrard examinent quel est le ciblage le plus efficace pour l'emploi et la croissance.

La politique de baisse des charges sociales est aujourd'hui, dans son principe, largement consensuelle. Mais quelles charges et pour qui ? La question reste en débat.

Dans une tribune publiée dans Les Echos, David Thesmar et Augustin Landier ont pris position en faveur d'une concentration de toute nouvelle baisse des charges sociales sur les bas salaires. Cette position a été reprise par certains, voire accentuée, et a donné lieu à des déclarations qui préconisent même de revenir sur le Cice et sur les allégements issus du pacte afin de financer des baisses de charges supplémentaires en dessous de 1,6 SMIC. Les résultats macroéconomiques de la politique de baisse des charges concentrée sur les bas salaires menée depuis vingt ans sont pourtant peu probants : le taux de chômage est aujourd'hui à 10% comme en 1995.

Les partisans du ciblage des baisses de charges sur les bas salaires s'appuient sur des études expliquant que l'effet sur l'emploi est d'autant plus élevé que la baisse du coût du travail porte sur les bas salaires. La première raison de ce résultat est le SMIC. C'est un fait, le SMIC est élevé en France et la seule façon d'en limiter l'impact négatif sur l'emploi peu qualifié est de diminuer les cotisations sociales des employeurs. La deuxième raison est purement arithmétique : avec 10.000 euros de charges sociales en moins, on peut embaucher plus de livreurs que d'ingénieurs. Pour faire baisser à court terme le chômage, deux embauches valent mieux qu'une.

Mais c'est là un raisonnement à courte vue. Cibler uniquement les baisses de charges sur les bas salaires, c'est ignorer que la compétitivité d'une économie dépend aussi de la qualité de son offre de biens et de services comparée à celle des autres pays. La "remontée en gamme" de notre offre repose sur des ingénieurs et des cadres, dont le coût chargé du travail est élevé comparativement à d'autres pays.

Les défenseurs d'un ciblage étroit des baisses de charges font aussi valoir que des allégements de charges sur les salaires plus élevés seraient compensés par une hausse de leurs salaires nets, et n'entraîneraient donc pas une baisse du coût du travail. Aucune étude récente sur la France ne démontre vraiment cela. Il ne suffit pas d'observer que le taux de chômage est plus faible à certains niveaux de salaire pour en déduire que l'économie crée suffisamment d'emplois qualifiés. En outre, le chômage plus faible au-delà des bas salaires n'est, en partie, qu'une apparence. Il s'explique par des phénomènes de déclassement de travailleurs diplômés, reportant le chômage sur les bas salaires et pénalisant la croissance potentielle, puisque des qualifications se trouvent sous-utilisées.

On touche là au coeur du sujet. Cibler l'ensemble des allégements de charges sur les bas salaires, c'est ignorer que renforcer notre compétitivité et notre croissance potentielle est le premier facteur de création d'emplois durables. C'est aussi ignorer la dynamique de la croissance. Une croissance forte et durable bénéficiant à tous, en particulier aux moins qualifiés, n'est possible qu'avec une offre robuste dans les secteurs requérant de l'emploi qualifié. La troisième révolution industrielle en cours, qui ne concerne pas que l'industrie, exige une spécialisation de l'offre vers l'innovation, la création de nouveaux produits et des services de prestations intellectuelles haut de gamme. Or, compte tenu des contraintes budgétaires, concentrer les baisses de charges à proximité du SMIC implique des transferts implicites qui pèsent sur les qualifications élevées et oriente l'économie française vers une spécialisation moins innovante et moins compétitive. Pour diminuer le chômage structurel, la politique de baisse des charges doit être assez large.

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