Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
La productivité du travail recule en France depuis 2019, la croissance de la valeur ajoutée des branches marchandes étant nettement plus faible que celle des effectifs. Si elle persistait, cette perte de productivité mènerait à une modération durable, voire une baisse des salaires réels. Le voile n’est que partiellement levé sur la cause de ce phénomène et encore moins sur son issue. Certains phénomènes temporaires ont probablement joué, telles que la forte progression des alternants et les difficultés de recrutement.
En tendance, l’emploi progresse moins vite que l’activité, avec à la clé des gains de productivité apparente du travail. Or, après avoir ralenti décennie après décennie, la productivité recule en France depuis 2019. La croissance de la valeur ajoutée des branches marchandes entre 2019 et 2022 a en effet été de 0,6%, celle de leurs effectifs de 5,1%. En 2022, la productivité apparente du travail dans les secteurs marchands est ainsi inférieure de 7% à ce qu’elle aurait été si elle avait progressé à son rythme tendanciel passé (0,7% l’an) depuis 2019.
Le voile n’est que partiellement levé sur la cause de ce phénomène et encore moins sur son issue. En revanche, il est clair qu’à long terme la hausse du salaire réel suit celle des gains de productivité. Donc, si elle se confirme, la baisse du niveau de productivité entrainerait une modération durable des salaires, sinon leur recul en termes réels (en tenant compte de l’inflation). Le financement à long terme des systèmes de protection sociale, largement assis sur les rémunérations des salariés, serait alors questionné.
• La forte progression du nombre d’alternants expliquerait environ 1/3 des créations nettes d’emploi depuis 2019 et la DARES estime que 20% de la baisse de la productivité lui est attribuable.
Le pari implicite est que cette baisse de productivité tient à la montée en puissance d’un dispositif désormais proche d’un plateau et que, à terme, des apprentis familiarisés avec le monde de l’entreprise se révéleront plus productifs.
• Face aux difficultés de recrutement et d’approvisionnement, les entreprises ont pu adopter des pratiques de rétention de main d’œuvre.
Ainsi près de 80% de l’écart de la productivité à sa tendance est attribuable à l’industrie, à la construction et au commerce, alors que le poids de ces secteurs dans l’emploi marchand est près de deux fois moindre (44%).
Dans l’industrie des matériels de transport notamment, dont la valeur ajoutée est inférieure de 32% à son niveau de fin 2019, mais dont les carnets de commandes sont jugés bien garnis, l’atténuation des contraintes d’offre devrait permettre un rebond des gains de productivité par l’accélération de la valeur ajoutée, soit un rebond par le haut.
Dans le commerce, c’est plutôt un ajustement à la baisse de l’emploi, comme les difficultés financières rencontrées par de nombreuses enseignes depuis le début de l’année le laissent craindre, qui permettrait un rebond de productivité, mais par le bas.
• Les gains de productivité n’ont jamais été aussi faibles alors que la proportion des personnes en emploi avec le plus haut niveau de formation initiale n’a jamais été aussi élevée.
Le rendement du diplôme en gains de productivité, et donc en revenu par tête, apparaît ainsi décroissant. Ce paradoxe pose la question de l’insertion des diplômés et de la concordance entre formation initiale et emploi occupé.
• Le chômage touche désormais principalement les personnes dont le niveau de formation initiale est le plus faible.
Si leur taux d’emploi, très bas en France (53,5%), rejoignait celui relevé en Allemagne (environ 65%), 550.000 personnes en plus seraient en emploi. Le taux de chômage serait alors ramené en-dessous de 6%, mais le niveau global de productivité serait affaibli de 1,5%. Concilier forts gains de productivité et recul du chômage dans des projections macroéconomiques peut ainsi se révéler très hasardeux.
Chronique de Denis Ferrand
Texte original paru dans Les Echos du 15 avril 2023 sous le titre L'inconnue de la productivité