Le décrochage de l'Europe par rapport aux Etats-Unis, la surproduction et la fuite à l'exportation de la Chine, comme l'introuvable redressement budgétaire en France, ne devraient pas quitter la scène économique en 2025.

Quel est votre scénario de croissance en Europe et en France pour 2025? 

Le décrochage de l’Europe par rapport aux Etats-Unis risque de rester une source de préoccupation en 2025, après avoir saturé l’espace médiatique tout au long du second semestre 2024. Il restera à l’avant de la scène tant que l’Europe n’aura pas trouvé d’échappatoire à l’étau dans lequel l'enserrent la politique d’hyper attractivité de l’investissement menée par les Etats-Unis d'un côté, le renforcement soudain et violent de la compétitivité-prix de la Chine, de l'autre. La nouvelle administration Trump va probablement accentuer ce phénomène, en mettant l’Europe face à ses responsabilités, militaires notamment.

Sur le plan des risques géopolitiques, même si les tensions au Moyen-Orient s'apaisent et qu'une issue favorable est trouvée au conflit russo-ukrainien, la crise énergétique de 2022 a d'ores et déjà laissé une empreinte durable sur la compétitivité européenne. Les entreprises européenne s’approvisionnent en énergie à des prix allant du double au quintuple de ceux facturés à leurs consœurs chinoises et américaines. Dans ce contexte, difficile d’imaginer une croissance allante en Europe, d’autant que les deux premières économies de la zone que sont l’Allemagne et la France cumulent des difficultés internes.

En Allemagne, la crise politique qui conduit à des élections anticipées rend peu probable la mise en place d’un stimulus budgétaire pour relancer la demande interne. De son côté, la France connaîtrait en 2025 une croissance bien inférieure à la prévision retenue par le gouvernement. L’instabilité politique dans laquelle le pays est plongé depuis la dissolution en juin 2024, affecte les ménages et les entreprises. Les premiers restent désireux d’épargner et reportent leurs achats importants, ce qui bride la reprise de la consommation. Les secondes ont commencé à ajuster sensiblement à la baisse leurs dépenses d’investissement et c’est désormais un ajustement des effectifs qui pourraient intervenir. 

La Chine, va-t-elle réussir à relancer son économie et sortir de la crise de l'immobilier? 

L’économie chinoise fait de la contention de son risque immobilier: elle cantonne les actifs déclassés et déploie des substituts de financement pour les collectivités territoriales privées du produit de la vente de terrains qui était leur principale ressource. Ces mesures seront-elles suffisantes pour éviter la manifestation d’une grave crise ? C’est possible, ne serait-ce que parce que cette crise est de nature purement interne. La crise immobilière a surtout incité les autorités à accélérer la recherche d’un substitut à ce qui a longtemps été le premier moteur de la croissance chinoise. 

La Chine s'est lancée dans la fabrication d’une industrie puissamment exportatrice, au risque de former des surcapacités gigantesques dans un nombre croissant de secteurs et de créer les germes d’une future crise de déclassement d’actifs non rentables. Cette stratégie fragilise la position d’acteurs européens en situation de concurrence directe. C’est la principale différence entre les deux crises chinoises: celle, actuelle, de l’immobilier est interne, celle qui pourrait survenir depuis une industrie chinoise dont le rendement est des plus médiocres pour l’instant aurait, et a déjà, des effets importants sur les industries des pays concurrents.

La BCE et la Fed vont-elles accélérer la détente monétaire?

Le déploiement de la politique Trump faite de déréglementation, de lutte contre l’immigration, de relance fiscale et de protectionnisme, alors même que l’économie produit déjà au-delà de son potentiel, porte des germes inflationnistes qui, s’ils viennent à croître et embellir, réduiraient significativement les marges de manœuvre de la Fed. Les marchés financiers ont joué ce scénario en réduisant leurs anticipations de baisse des taux directeurs à mesure que l’élection de Trump devenait de plus en plus assurée.  La BCE n’est pas du tout confrontée à ce type de défi. Les baisses de taux vont se prolonger et une forme de découplage des politiques monétaires pourrait s’opérer dans un sens favorable là encore à l’attractivité du placement aux Etats-Unis et à la valeur du dollar contre l’euro.

Quelle est la plus grosse menace pour la stabilité financière mondiale en 2025 ?

L’envolée des valorisations boursières et immobilières aux Etats-Unis est saisissante. Débouchera t-elle sur une correction ? N’oublions pas qu’il y a encore un an et demi, le risque de récession aux Etats-Unis était perçu comme très élevé. Cette histoire, pourtant pas si ancienne, est oubliée. Mais si la déréglementation voulue par D. Trump ne donne pas rapidement des résultats en matière de baisse des prix, une résurgence de l'inflation pourrait réduire encore les anticipations de baisse des taux directeurs, ce qui aurait forcément des conséquences sur les valorisations. L’adage selon lequel "il ne faut jamais parier contre les Etats-Unis" sera-t-il confirmé? C’est une question importante à laquelle je suis quand même tenté de répondre "oui".

Les marchés ne sanctionneront pas forcément la dette française, mais l’économie, elle, risque fort de se venger d’avoir été oubliée et maltraitée par le politique depuis de trop longs mois.

La France doit-elle redouter une crise de confiance sur les marchés obligataires?

A brève échéance, l’économie française va encore évoluer sous la protection tout autant rassurante qu’imposante de la BCE de sorte que c’est plus une glissade que connaissent les rendements relatifs de la dette publique française qu’une franche dégradation. Mais, après ceux du Portugal puis de l’Espagne, la probabilité de voir les taux sur les titres publics français dépasser les taux italiens dans le courant de l'année 2025 est élevée. Courant 2024, l’écart avec l'Italie s’est resserré de plus de 60 points. Les marchés ont sanctionné le passage en ligue 2 de la dette publique française, relégation que les agences de notation n'ont pas encore acté. 

Une nouvelle dégradation est possible en 2025, faute de redressement des comptes publics.  Le déficit public sera certes réduit automatiquement par la Loi de Finances Spéciale, en attendant l'hypothétique vote d’un Budget 2025, mais il pâtira d’une croissance trop faible et d’une remontée de la charge de la dette. Par défaut de vision et d’horizon, le brouillard autour des finances publiques sera un profond inhibiteur de l’investissement et des embauches. Les marchés ne sanctionneront pas forcément la dette française, mais l’économie, elle, risque fort de se venger d’avoir été oubliée et maltraitée par le politique depuis de trop longs mois.

Denis Ferrand

article paru dans Wansquare le 16 décembre 2024