Pour contrer les effets récessifs du vieillissement sur le niveau de vie de sa population, le Japon peut s'appuyer sur un taux d'emploi très élevé, une robotisation poussée au delà de la seule industrie, un stock d'investissements à l'étranger dont les revenus font plus que compenser le déficit des échanges de bien. Un exemple inspirant pour une Europe vieillissante bientôt à court de marges de manœuvre budgétaires et monétaires.

Un pays qui vieillit, rétif à l'arrivée d'immigrants et qui doit conserver sa base productive, alors qu'il est de plus en plus un pays de rentiers… Ce n'est pas la France que nous décrivons ici mais le Japon, la troisième économie mondiale à la stratégie macroéconomique gagnante lors de ces vingt dernières années. Pour contrer les effets récessifs du vieillissement sur le niveau de vie de sa population, l'économie japonaise a réuni quatre ingrédients. Une recette qui est source d'inspiration pour des pays européens qui arrivent au bout de ce que permettent leurs politiques budgétaires et monétaires.

A rebours de bien des représentations, les japonaises ont l'un des taux d'emploi les plus élevé des pays de l'OCDE

Le premier ingrédient est la politique d'activation de sa population en âge de travailler, notamment féminine. Le Japon fait désormais partie des pays de l'OCDE affichant l'un des plus forts taux d'emploi des femmes de 15 à 64 ans, à rebours de bien des représentations. Face au recul de la population statistiquement en âge de travailler amorcé dès 1994, le Japon a optimisé son taux d'emploi. Près de 80% des 15-64 ans ont un travail rémunéré, contre 70% en moyenne dans l'OCDE et 69% en France.

Le deuxième renvoie à la robotisation de l'économie, et pas seulement dans l'industrie. Cette modernisation de l'appareil productif va de pair avec un taux d'emploi, on l'a vu, parmi les plus élevés du monde. Comme le travail est denrée rare, on n'hésite pas à lui substituer du capital, tout en réalisant de front la montée en gamme des opérateurs. Nulle trace au Japon de l'improbable débat ouvert en France sur la taxation des robots lors de la campagne de 2017.

Le troisième a consisté dans l'exportation de capital à l'étranger, vers des pays où une population jeune est prête à travailler - tout en la fixant dans ces pays plutôt que de la voir migrer vers le Japon. Cette exportation de capital a façonné une position extérieure nette, soit la différence entre les actifs japonais à l'étranger et les engagements financiers envers les non-résidents, créditrice de 78 points de PIB. Elle a été facilitée par une politique de change ayant maintenu le yen à un niveau élevé face au dollar (108 yens pour 1 $ en moyenne de 1994 à 2019). La formation d'actifs à l'étranger en a été facilitée, en même temps que l'absence de rémunération de l'épargne au Japon rendait cette sortie de capitaux profitable.

Le quatrième ingrédient est le contrepied du précédent. Une fois le déploiement du capital nippon à l'étranger effectué, le taux de change peut se déprécier. Cette dépréciation est de l'ordre de 30 % depuis la fin des années 2010, pour atteindre la parité de 150 yens pour 1 $ en 2024. La rente servie par le stock des investissements effectués à l'étranger n'en est que plus forte, une fois convertie en monnaie nationale.

On comprend mieux la mollesse des interventions de la Banque du Japon pour contrer la dépréciation du yen, même quand il est transitoirement tombé à 160 yens pour 1 $. Les rentiers japonais en bénéficient, peu importe que les touristes japonais en pâtissent.

Par le recyclage à l'extérieur de ses précédents excédents commerciaux, le Japon a patiemment construit une rente à destination d'une population de plus en plus âgée

Résultat : la balance courante présente un solde excédentaire proche ses sommets tout en s'étant radicalement déformé. L'économie japonaise connaît certes un déficit commercial. Mais le solde des revenus nets que les résidents japonais tirent de leurs investissements à l'étranger (6,5 points de PIB) surcompense un déficit des échanges de biens et de services (1,3 point) qui est probablement structurel désormais.

Par le recyclage à l'extérieur de ses précédents excédents commerciaux, le Japon a ainsi patiemment ajouté une capacité à extraire une rente à destination d'une population de plus en plus âgée de manière à minimiser le coût pour la société nippone de son vieillissement.

En Europe, l'Allemagne et les Pays-Bas avec leur taux d'emploi proche de 80% et leur position extérieure nette créditrice supérieure à 50 points de PIB ressemblent bien plus au Japon que la France dont les engagements financiers vis-à-vis de l'extérieur dépassent de 30 points de PIB les actifs détenus par ses résidents à l'étranger.

Denis Ferrand, est directeur général de Rexecode

Vieillissement de la population: les recettes japonaises
Chronique parue dans Les Echos du 11 novembre 2024