Les prévisionnistes doivent réinventer dans l’urgence le contenu de leur boîte à outils tant leurs méthodes et modèles habituels se révèlent peu adaptés à cette crise sanitaire et à l'incertitude maximale qu'elle génère. Il leur faut d'abord quantifier l'impact des mesures de confinement en exploitant une large gamme de données puis formuler des hypothèses sur le calendrier de la reprise de l'activité pour tracer des perspectives de croissance.

A mesure que dure le confinement, les prévisionnistes adaptent leurs outils pour appréhender la profondeur de la crise économique qui s’avance. Et les chiffres auxquels ils aboutissent sont ahurissants à l'instar du recul de 7,2% du PIB attendu par la FMI pour la France en 2020.

Le soin apporté à la prévision qui consiste à inscrire un chiffre après la virgule suggère qu’une métrique précise est possible. Ce n’est pas le cas: les prévisionnistes doivent réinventer dans l’urgence le contenu de leur boîte à outils tant leurs méthodes et modèles habituels se révèlent peu adaptés à un tel moment.

L'incertitude maximale bouscule les 3 temps de l'exercice de prévision économique

La prévision économique procède de la succession de trois temps et les méthodes appliquées à chacun d’entre eux se trouvent prises en défaut ou entachées d’incertitudes telles que seuls des ordres de grandeur peuvent être esquissés.

• Le premier temps est de nature paramétrique. Il associe, à un horizon de trois mois, la prévision de croissance aux résultats des enquêtes sur le climat des affaires. Or le plongeon de la plupart d'entre elles à des niveaux inédits ne permet plus la quantification d’un solde des opinions des chefs d’entreprise.

• Le deuxième temps est de nature analytique. Il dessine, à un horizon de 18 mois à deux ans, l’orientation des postes de la demande, qu’il s’agisse de la consommation des ménages, de l’investissement des entreprises ou des échanges mondiaux, à partir d’un jeu d’interrelations entre des variables de prix, d’emploi, de revenu...

Or, l’incertitude est maximale quant à la vitesse à laquelle les ménages réduiront (ou pas) l’épargne qu’ils accumulent pour la majorité d’entre eux au cours du confinement. Comment se rétabliront les échanges mondiaux alors que les frontières pourraient rester plus ou moins fermées ? Des difficultés d’approvisionnement au moment du rétablissement des liens commerciaux seront aussi probables, freinant ainsi l’activité. En somme, les interrelations théoriques pourraient perdurer mais l’inconnue porte sur l’évolution des comportements.

• Le troisième temps est de nature structurelle et s’envisage dans le temps long. La croissance d’une économie dépend du capital humain et physique qu’elle peut mobiliser et des gains dans l’efficacité de la combinaison de ces ressources fondamentales. Comment prévoir alors que la crise économique, avec son cortège de hausse du chômage et de disparitions d’entreprises n’a pas véritablement débuté ? A l’inverse, la nécessaire adoption de technologies numériques et de nouveaux modes d’organisation de la production à une vitesse inédite est-elle prometteuse d’une accélération prochaine des gains de productivité ?

Quantifier l’ampleur du choc économique en exploitant une large gamme d'indicateurs

Les questions sont nombreuses et les réponses relèvent plus à ce stade de la conjecture et du parti pris que de la vérité révélée. Dans l’immédiat, et alors que le choc du COVID-19 frappe de manière extrêmement hétérogène les secteurs d’activité, la prévision économique consiste plus modestement à essayer de quantifier l’ampleur du choc économique.

A cette fin, les prévisionnistes peuvent s’appuyer sur de nouvelles enquêtes spécifiques comme celle de la Dares sur les conditions d’emploi dans les entreprises, sur les travaux de l’Insee ou sur des questionnaires directs auprès de fédérations professionnelles et d’entreprises. Des indicateurs en temps réel, issus de l’exploitation raisonnée des données en masse, fournissent aussi des indications précieuses quant au taux d’activité des secteurs. En effectuant des hypothèses sur la durée du confinement et sur la vitesse ultérieure du déconfinement, une perspective (plus qu’une prévision) de croissance devient alors possible.

C’est ce type de démarche que la plupart des organismes de prévision adopte peu ou prou. Elle permet d’aboutir à un chiffrage qui, s’il demeure imprécis tout autant qu’abstrait, dit bien la violence de la crise qui s’avance une fois que le respirateur artificiel qui ventile actuellement l’économie aura été débranché.

Chronique de Denis Ferrand parue dans Les Echos du 20 avril 2020