Hausses de prix, problèmes de recrutement, nécessaire relance de l'économie plaideraient en faveur d'augmentations des salaires en France. Ce n'est pas l'avis de Denis Ferrand qui rappelle qu’en 2020 leur indice mensuel de base a progressé d'environ 1,4%, malgré la crise, et que l'inflation reste contenue. Pour stimuler la demande, l’enjeu serait plutôt de débloquer l'abondante épargne des ménages. Quant à la difficulté à recruter, elle tient davantage à la faible disponibilité de candidats offrant les qualifications requises.

Le contexte ne plaide pas vraiment pour une hausse des salaires. Le constat de départ montre qu’en 2020 l’indice mensuel de base a déjà progressé, de l’ordre de 1,4%, malgré la crise. De même, alors que la croissance a chuté de 8% l’année dernière, le revenu des ménages a, lui, augmenté de 0,5%, notamment en raison de l’accélération des prestations sociales, en particulier du recours massif au chômage partiel. Donc, pour l’instant, globalement, le pouvoir d'achat n’est pas un problème.

Pour l’instant, on n'assiste pas à une accélération généralisée et durable des prix

La question du pouvoir d’achat pourrait se poser en cas de retour de l’inflation. Or, pour l’instant, on ne voit pas d’accélération généralisée et durable des prix. On assiste plutôt à des chocs qui peuvent s’expliquer par un effet rattrapage après le ralentissement de 2020 et le contrecoup des soldes d’été de juillet. Mais, au total, sur l’année, l’inflation devrait tourner autour de 1,5%, ce qui reste relativement faible.

Pour stimuler la demande, l’enjeu est plutôt de débloquer l’épargne accumulée par les ménages pendant la crise sanitaire

Ajoutons à cela le fait que, durant la pandémie, les Français ont accumulé une épargne supplémentaire de l’ordre de 140 milliards d’euros, ce qui représente près de 10 points du revenu total des ménages avant la crise. On ne peut donc pas invoquer un déficit de la demande pour justifier une hausse des salaires. Si l’on veut faire de la relance, ce n’est pas forcément ce levier qu’il faut actionner, mais plutôt créer les conditions du déblocage de ce surplus d’épargne dormante.

Les difficultés de recrutement sont moins liées à des salaires jugés insuffisants qu’à la faible disponibilité de candidats qualifiés

Un autre argument est souvent avancé: augmenter les bas salaires permettrait de renforcer l’attractivité de secteurs qui peinent à recruter. Ce raisonnement est très discutable. S’il y a des difficultés de recrutement, c’est aussi parce qu’il y a des recrutements. De mai à juillet, il n’y a jamais eu autant de CDI et de contrats de plus d’un mois signé. Le problème n’est pas qu’on ne trouve pas de candidats, mais qu’on n’en trouve pas assez, assez rapidement.

Cela renvoie à un problème structurel, bien connu, du marché du travail français: celui de la qualification et de la formation. L’enquête que Rexecode mène chaque trimestre avec Bpifrance auprès des chefs d’entreprise montre que, du point de vue des employeurs, l’écart entre les aspirations salariales des candidats et le salaire proposé n’est que le cinquième motif de difficulté à recruter. Ce que les patrons mettent en avant, c’est la trop faible disponibilité de personnel qualifié. Augmenter les salaires n’est pas la martingale qui va résoudre le problème.

Attention à la compétitivité: le coût de la main-d’œuvre est désormais plus faible en France qu’en Allemagne dans l’industrie, mais reste plus élevé sur l’ensemble de l’économie

Il faut aussi tenir compte du risque que ferait courir une hausse sur la compétitivité des entreprises. Aujourd’hui, le coût horaire de la main-d’œuvre dans l’industrie est, certes, plus faible en France qu’en Allemagne, mais sur l’ensemble de l’économie, le niveau reste plus élevé, surtout en raison des charges qui s’alourdissent à mesure que l’on avance dans l’échelle des salaires. Évacuer les effets de seuil du système est un enjeu crucial si l’on veut lever le frein qu’ils représentent à augmenter les bas salaires.

Denis Ferrand, propos recueillis par Antoine d’Abbundo

Débat - Faut-il augmenter les salaires ?

par Antoine d’Abbundo et Nicolas Senèze,
La Croix, 3 septembre 2021

L'article complet qui comprend également l'avis de Mathieu Plane, directeur adjoint de l’OFCE est disponible pour les abonnés sur le site du journal