Le ralentissement de la croissance en début d'année 2018 a concerné l'ensemble de la zone euro, en raison de facteurs extérieurs défavorables (change, pétrole). En France cependant, le calendrier des mesures fiscales a clairement pesé sur la consommation des ménages. Au 2e trimestre enfin, les grèves dans les transports ont constitué un frein supplémentaire.

Denis Ferrand, directeur général de Coe-Rexecode, analyse pour Le Point les causes du ralentissement de la croissance en France au 1er semestre.

Emmanuel Macron est-il responsable du ralentissement de la croissance française au premier semestre 2018 ?

Si Emmanuel Macron est responsable du ralentissement économique de la France, cela voudrait dire qu'il est aussi responsable de celui de l'ensemble de la zone euro ! Car il y a bien eu un ralentissement en début d'année dans toute la zone euro. La première partie de l'année a en effet été marquée par une augmentation des prix du pétrole et de l'inflation ainsi que par les effets concrets de la hausse de l'euro observée jusqu'à la fin de l'année 2017.

Évidemment, Emmanuel Macron ne peut pas être dédouané de toute responsabilité. Le timing de la baisse de la fiscalité, avec une diminution en deux temps des cotisations salariales, et non pas en une seule fois au 1er janvier, a aussi pesé. La réduction des cotisations au 1er janvier n'a pas entièrement compensé l'effet de la hausse de la CSG sur l'ensemble des revenus, ce qui a pesé sur la consommation des ménages.

Il ne faut pas non plus oublier que le deuxième trimestre a été marqué par l'impact des grèves à la SNCF et à Air France. Dans la zone euro, la croissance du deuxième trimestre a été un peu meilleure qu'au premier. Ce n'a pas été le cas en France. Il y a donc sans doute un petit effet spécifique lié aux grèves consécutives à la réforme de la SNCF.

N'est-ce pas une erreur majeure d'avoir décalé la baisse des cotisations sociales au 1er octobre pour des raisons budgétaires, alors que la croissance de 2017 a finalement permis de revenir à 2,6% de déficit?

Cela a en tout cas brouillé la visibilité de cette réforme. Les salariés n'ont pas tellement senti l'effet positif sur leur salaire net depuis le 1er janvier parce qu'il était trop ténu et certains retraités ont pris de plein fouet la hausse de la CSG. Un autre problème va d'ailleurs se poser dès le 1er janvier 2019 avec l'entrée en vigueur du prélèvement à la source. A priori, cette mesure ne devrait pas changer le niveau de fiscalité, mais elle va avoir un effet sur la perception de la fiscalité par les Français. Tous ceux qui n'étaient pas mensualisés vont avoir l'impression que leur salaire net diminue fortement, ce qui va masquer le véritable gain lié à la baisse des cotisations sociales qui ne sera effectif qu'à partir du 1er octobre 2018.

La croissance française peut-elle se maintenir à 1,8 % ou 1,7 % en 2018, comme l'espère le gouvernement, ou bien va-t-elle ralentir davantage?

Le choc sur le prix du pétrole est derrière nous et l'euro a plutôt tendance à se déprécier. Les causes externes du ralentissement ont donc disparu. Du côté du pouvoir d'achat, il y aura le plein effet de la baisse des cotisations sociales à partir d'octobre et la première tranche de baisse de la taxe d'habitation. Le second semestre devrait donc être meilleur que le premier.

Reste un certain nombre d'épées de Damoclès, comme la situation politique en Italie, le fort ralentissement de l'économie turque (qu'il ne faut pas sous-estimer, car la France est relativement exposée, notamment ses banques) mais aussi, la montée des tensions commerciales et les risques de ralentissement économique dans les émergents, au premier rang desquels la Chine. Tous ses facteurs pourraient davantage peser sur l'activité à partir de 2019.

Le déficit, qui devait revenir à 2,3 % du PIB, risque-t-il de déraper?

Atteindre 2,3% de déficit en 2018 me semble relativement faisable. Pour l'instant, les recettes fiscales sont en ligne avec les prévisions, notamment sur la TVA. Les risquent se concentrent sur 2019 avec l'effet boomerang du calendrier du Crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) avec sa transformation en allègements de charges patronales. En 2019, sa transformation en baisse de charges va coûter double : le crédit d'impôt calculé sur la masse salariale de 2018 sera rétrocédé et les charges baisseront en parallèle. C'est ce qui explique que le gouvernement prévoit de rester au même niveau de déficit en 2018 et en 2019, avant même de savoir si la croissance va ralentir plus que ce qu'il a prévu.

À partir de 2020, le gouvernement table sur une croissance de 1,7% par an, cela vous paraît crédible?

C'est faire le pari que les mesures prises jusqu'à présent, comme les ordonnances de libéralisation du marché du travail et la baisse de la fiscalité du capital, portent toutes leurs fruits dès 2020, et augmentent le potentiel de croissance de l'économie française, estimé à environ 1,3%. C'est assez optimiste. La croissance a du mal à accélérer durablement car on bute sur des contraintes structurelles : malgré un chômage élevé, les entreprises font face à des pénuries de main-d’œuvre. Il faut arriver à répondre à ce défi pour arriver à atteindre une croissance supérieure.

Propos recueillis Marc Vignaud