Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
Les difficultés de recrutement sont particulièrement prégnantes aux Etats-Unis, où elles concernent désormais plus de la moitié des entreprises. Si elles revêtent en partie un caractère frictionnel lié au vif rebond de l'activité, ces difficultés sont aussi la conséquence de la contraction de la population active: 4,3 millions de personnes manquent sur le marché du travail par rapport à l'avant-crise Covid.
• Plus de la moitié des entreprises américaines rencontrent des difficultés de recrutement
Les difficultés de recrutement se sont accrues de manière spectaculaire dans les économies occidentales avec le rebond économique. Nulle part ailleurs qu'aux Etats-Unis, ce tournant n'a été aussi marqué. Avant même la pandémie, ces difficultés y étaient déjà omniprésentes: 38% des entreprises indépendantes américaines déclaraient rencontrer des difficultés à pourvoir un ou plusieurs postes de travail en 2019. Cette proportion est désormais de 51%.
Une part de ces difficultés est frictionnelle: avec le redémarrage de l'économie, un flux soudain d'embauches est intervenu avec la levée des restrictions sanitaires, au point que le nombre de postes ouverts au recrutement est supérieur de plus de 2 millions au nombre de chômeurs.
• 4,3 millions d'actifs manquent par rapport à l'avant-crise
Au-delà de ce caractère frictionnel, un trait spectaculaire tient à la contraction de la population active. Le taux de participation, soit la proportion de personnes considérées comme actives (donc en emploi ou au chômage) dans la population âgée de plus de 16 ans, a chuté pendant la pandémie. Ce sont 4,3 millions de personnes qui manquent par rapport à l'avant-crise.
Surtout, aucune remontée du taux de participation n'est intervenue récemment en dépit des importants flux d'embauche. Ce recul de près de 3% de la population active crée un choc sur la capacité de production de l'économie, choc que les entreprises essaient de compenser notamment par l'allongement de la durée du travail. Elle a été augmentée d'un peu plus de 30 minutes par semaine en moyenne dans le secteur privé par rapport à 2019 (+2 %) et est à son plus haut niveau depuis vingt ans.
• Davantage de départs à la retraite, mais pas seulement
Ce choc à la baisse du taux de participation tient notamment à l'accélération des départs en retraite de salariés. Il s'observe toutefois pour l'ensemble des catégories d'âge, notamment la tranche des 35-44 ans.
D'autres motivations sont ainsi sous-jacentes à ce retrait de la population active, qu'il s'agisse de craintes liées à la situation sanitaire, à l'inscription dans un processus de transition professionnelle encore non abouti, voire à l'impact de l'allégement des mensualités de prêts étudiants mis en oeuvre dans le cadre du Federal Student Loan Forgiveness Program une fois que les personnes concernées ont justifié de dix années de participation au marché du travail.
• Une situation propice à la mobilité des salariés et aux rémunérations des plus mobiles
Cette situation de pénurie de main-d'oeuvre est d'ores et déjà propice à une accélération forte de la mobilité aux Etats-Unis: les taux d'entrée et de sortie de l'emploi sont tous deux à des niveaux records. Et cette mobilité paie: alors que les salaires reçus par les personnes n'ayant pas changé d'emploi au cours des trois derniers mois ne connaissent pas d'accélération sensible, ceux des personnes mobiles dans l'emploi ont accéléré à 5,5% en rythme annualisé en août par rapport à mai dernier, leur plus forte progression depuis le début des années 2000.
• Ces traits se retrouvent-ils en Europe et en France ?
Les difficultés de recrutement y sont également redevenues mordantes. Toutefois, quand bien même les flux d'embauches sont à des niveaux records, la mobilité du travail ne semble pas avoir autant bondi qu'elle ne l'a fait aux Etats-Unis.
Une explication renvoie aux modalités différentes du traitement de l'emploi pendant la pandémie. Des politiques de rétention de la main-d'oeuvre ont été déployées en Europe et en France via les dispositifs de l'activité partielle alors que la relation contractuelle a été bien plus souvent rompue aux Etats-Unis (-25 millions d'emplois au cours du printemps 2020). L'emploi a été préservé de ce côté de l'Atlantique. Il a disparu puis est rapidement réapparu de l'autre côté. Ce mouvement débouche sur des conditions désormais plus favorables aux rémunérations des salariés mobiles.
Denis Ferrand
Chronique parue dans Les Echos du 2 Novembre 2021