Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
Depuis 2021, le tassement des échelles salariales sous l’effet des hausses successives du salaire minimum face à l'inflation a suscité des débats sur les freins à la progression des salaires, et notamment sur les effets dissuasifs des dispositifs socio-fiscaux autour du SMIC. Deux enquêtes auprès des entreprises permettent de conclure que ces dispositifs renforcent plus qu'ils ne créent des freins à la progression salariale, ces derniers étant d'abord liés aux caractéristiques de l'entreprise.
En France, plus de 17% des salariés du secteur privé étaient concernés par une revalorisation du SMIC au 1er janvier 2023. Il s'agit de la plus forte proportion depuis 2005, ce qui amène au premier plan la question de l’écrasement des échelles salariales et des freins potentiels à la progression des salaires. L'analyse menée par Rexecode sur la base d'enquêtes montre qu'en tout état de cause, les dispositifs socio-fiscaux renforcent plus qu'ils ne créent des freins à la progression salariale. Ces derniers sont davantage liés au secteur d’activité de l’entreprise, aux relations avec les clients et donneurs d’ordre, et à l’organisation du partage de la valeur au sein de l'entreprise. Par ailleurs, les choix des salariés, parfois contraints ou mal informés, peuvent également les maintenir sur des trajectoires salariales peu dynamiques.
Le rôle potentiel des dispositifs socio-fiscaux autour du SMIC comme frein à la progression salariale a été identifié dans le débat économique dès leur mise en place au début des années 1990. Ces dispositifs (prélèvements sociaux et fiscaux, allègements, prime d'activité, prestations, etc.) déterminent le "coin socio-fiscal". Il s'agit de l’écart entre (1) le coût du travail supporté par l’employeur et (2) le revenu disponible net de prélèvements (cotisations, impôts) et après transferts (prime d’activité, APL, autres aides) perçu par le salarié.
Pour une personne seule, le coin "socio-fiscal" augmente graduellement de 15% au niveau du SMIC, jusqu’à 53% au niveau de 3 fois le SMIC. Le profil croissant du coin socio-fiscal à proximité du SMIC créé, en théorie, un risque de freins à la progression salariale. L’effet de freinage provient du décalage entre le bénéfice net que le salarié retire en revenu disponible d’une revalorisation salariale d’une part, et la hausse du coût salarial que celle-ci fait supporter à l’entreprise d’autre part. Dit autrement, la revalorisation salariale nécessite une hausse de valeur ajoutée de l’entreprise disproportionnée par rapport au bénéfice qu’en retire le salarié, à partage de la valeur ajoutée inchangé.
Les évaluations économétriques sur l’impact des allégements sur la distribution des salaires et la dynamique salariale n'ont jusqu'ici ni confirmé ni infirmé de manière décisive l’existence de "trappes à bas salaires". L'étude de Rexecode, réalisée à la demande du HCFiPS1, a pour objectif le "recueil d’éléments d’analyse directement auprès d’entreprises, afin de confronter leurs stratégies salariales effectivement mises en place aux perceptions qu’elles pourraient avoir des différents mécanismes susceptibles de freiner la progression des salaires". Elle est basée notamment sur deux sondages et deux séries d’auditions menées auprès d’entreprises, d’organisations patronales et d’organisations syndicales.
- Rexecode conduit chaque trimestre avec Bpi France le Lab une enquête auprès des PME et TPE dans le cadre du baromètre "Trésorerie, investissement et croissance des PME/TPE". Le baromètre de février 2024 comportait plusieurs questions spécifiques sur la dynamique salariale et les freins à la progression salariale. Les TPE/PME qui déclarent être régulièrement confrontées à des freins à la progression salariale représentent 15% des effectifs salariés de l’ensemble de l'échantillon. Les TPE/PME qui identifient comme frein principal aux hausses de salaire l’augmentation du coût du travail liée à la diminution d’allègements de cotisations patronales représentent 8% des effectifs salariés de l’échantillon total
- Rexecode a mené un sondage auprès des entreprises adhérentes du Medef, de l’U2P et de la CPME Paris Île-de-France, sous la forme d’un questionnaire électronique auto-administré. Compte tenu du mode de diffusion du sondage, il était attendu que les entreprises davantage concernées par les freins à la hausse des salaires soient surreprésentées dans les réponses.
Les répondants se déclarant confrontés à des freins réguliers à la progression salariale au voisinage du SMIC représentent 37% des effectifs de l’ensemble des répondants. Les entreprises qui jugent que la diminution des allègements de cotisations freine la progression salariale au voisinage du SMIC représentent 16% des effectifs.
Les deux motifs les plus forts de freins, cités chacun par 67% des répondants, sont les contraintes financières et économiques (marges, trésorerie), et la difficulté à répercuter le coût salarial supplémentaire dans les prix. Les entreprises qui citent la diminution des allègements de cotisation se retrouvent majoritairement parmi celles qui identifient ces deux premiers freins, et inversement.
- Enfin, les acteurs auditionnés soulignent l’importance de facteurs liés à l’activité dans l’émergence de freins à la progression salariale, le coin socio-fiscal jouant un rôle amplificateur.
L'enquête réalisée avec l'aide des organisations patronales permet d'affiner l'analyse s'agissant des entreprises confrontées à des freins aux hausses de salaires.
- Une forte corrélation apparait entre les situations de freins à la progression salariale (liés aux allègements, à la hausse de la durée du travail pour des raisons de coin socio-fiscal ou à la promotion) et la forte proportion de salariés durablement au SMIC dans l'entreprise.
- Le lien entre dispositifs socio-fiscaux et freins à la progression salariale met en jeu (1) des dimensions sectorielles, les entreprises à forte intensité en main d’œuvre peu qualifiée et aux marges faibles étant davantage concernées, (2) des situations de concurrence forte ou de prix administrés, (3) une forte substituabilité des salariés, et (4) des choix individuels. Les choix des salariés peuvent être influencés par les dispositifs sociaux-fiscaux, lesquels renforcent l’effet désincitatif du tassement des grilles sur la mobilité socio-professionnelle.
- La perte d’aides publiques par les salariés est un motif d’insatisfaction bien identifié, même s’il vient après la hausse du coût de la vie et le rattrapage par les niveaux de salaires inférieurs.