Pour l'Express, Olivier Redoules revient sur les enseignements du Bilan de la compétitivité française en 2022. La France a enregistré un déficit extérieur record depuis 1948. Or, si l'alourdissement de la facture énergétique y est pour beaucoup, il n'explique pas tout. Après une stabilisation en 2017-2019, la France a de nouveau perdu des parts de marché à l'exportation en zone euro, et ce dans quasiment tous les secteurs manufacturiers. Un recul que le léger redressement de 2022 ne suffit pas à effacer. La France devra continuer de corriger l'écart avec ses voisins en matière de prélèvements obligatoires sur les entreprises et de coût du travail, mais dans un contexte budgétaire contraint.

Dans son dernier bilan, Rexecode dresse un tableau contrasté de la compétitivité française. Malgré un léger redressement des parts de marché à l’export depuis 2022, le recul intervenu depuis 2019 n’a pas été effacé, et la France a connu en 2022 un déficit extérieur record depuis 1948. Olivier Redoulès, directeur des études, répond aux questions de l'Express.

Comment expliquer ce constat plutôt morose alors que de nombreuses mesures ont été mises en œuvre pour améliorer la compétitivité ?

Certaines causes sont conjoncturelles, et d’autres plus structurelles. La hausse des prix de l’énergie explique environ 60% de celle du déficit depuis 2019. Nous sommes bien évidemment déficitaires sur les produits pétroliers, mais aussi, et pour la première fois, sur l’électricité. Mais cela n’explique pas tout. Nous perdons des parts de marché depuis 2019 dans quasiment tous les secteurs manufacturiers, à part l’alimentation et le textile.

Même s’il existe des éléments d’explication comme la pénurie de composants ou le manque de main-d’œuvre, notamment dans l’aéronautique ou l’automobile, nous avons du mal à savoir pourquoi la France serait plus touchée que les autres pays. Et si on regarde les indicateurs, il n’y a pas eu de dérive importante des prix ou des coûts depuis 2019…

Difficile donc de trouver une explication. D’autant plus que les mesures en faveur de la compétitivité (CICE, Pacte de responsabilité) semblaient fonctionner : en 2017-2019, nous avons assisté à une stabilisation des parts de marché, qui pouvait laisser présager un redressement. Mais la crise est passée par là, et a remis cette amélioration en cause. La question maintenant est de savoir si ses effets seront durables ou non.

Devons-nous être pessimistes pour l’avenir ?

Si l’on regarde les indicateurs, certaines données incitent au pessimisme et d’autres à l’optimisme. Parmi les éléments les plus inquiétants, la France connaît une perte de productivité qui ne se retrouve pas chez ses voisins. Encore une fois, il est difficile d’en connaître les raisons. Quand on recolle les morceaux, on peut à la fois y voir un effet de l’alternance, ou de la rétention de main-d’œuvre dans l’aéronautique ou l’automobile, mais cela n’explique pas tout. Si l’on choisit de voir le verre à moitié plein, on peut se dire que les entreprises de ces secteurs vont pouvoir rebondir car elles ont gardé leurs effectifs. Mais il existe également un risque d’ajustement à ce niveau-là dans les prochains mois, en cas de perte de capacité industrielle.

Un autre élément déterminant sera la manière dont la perte liée à la hausse des prix énergétiques va être partagée entre les entreprises et les salariés. Si les demandes de hausse de salaires sont acceptées, les entreprises vont devoir absorber seules ces pertes au détriment de l’investissement et de la croissance future.

Mais malgré ces éléments inquiétants, nous pouvons également voir des signaux positifs, comme la résilience de l’investissement, y compris en provenance de l’étranger, malgré la crise, et encore en 2022. Le rebond de nos parts de marché à l’export en 2022 par rapport à 2021 est aussi positif même s’il n’efface pas la baisse depuis 2019. Nous sommes au milieu du gué, et nous pouvons encore imaginer des scénarios favorables ou bien plus sombres.

Que faudrait-il faire pour améliorer la compétitivité française ?

Les entreprises françaises continuent à supporter des prélèvements obligatoires parmi les plus élevés de la zone euro. Le coût du travail chargé reste élevé dans le secteur manufacturier. Mais nous sommes aujourd’hui dans un contexte où la dette devient préoccupante: s’il y a une baisse des impôts, il faut une baisse des dépenses en face. Pour la compétitivité, le report de l’âge de départ à la retraite coche toutes les cases, même si les modalités sont à discuter. Cela permet d’augmenter la quantité de travail et donc la richesse produite, tout en améliorant l’état de nos finances publiques, ce qui constitue véritablement un double-dividende pour le pays.

Propos recueillis par Philippine Robert

Entretien paru le 02/02/2023 sur le site de l'Express sous le titre: Compétitivité : "Le report de l’âge de départ à la retraite coche toutes les cases"