Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
Une solution existe pour éviter les faillites en masse des entreprises et le recul durable de l'investissement face au choc du coronavirus, sans creuser davantage les déficit publics. Au delà des aides spécifiques aux secteurs les plus affectés par la crise, l’État peut consentir aux petites comme aux grandes entreprises des prêts sans échéance, remboursables seulement sur les bénéfices futurs.
Comment éviter la dépression économique qui nous menace sans tomber dans le piège des déficits ? Au-delà des aides ciblées aux secteurs mis à l’arrêt, nous suggérons une mesure générale de soutien de l’activité économique qui pèserait peu sur notre déficit public, déjà à la dérive. Il s’agirait de développer à grande échelle des prêts participatifs d’un type nouveau, sans échéance fixée à l’avance et remboursables seulement sur les bénéfices futurs.
Les prêts de trésorerie distribués aux entreprises depuis mars ont reporté temporairement le risque de la cessation de paiements. Mais le couperet reste dans la ligne de mire. Dans le climat actuel d’incertitude sur l’avenir, cela ne manquera pas d’entraîner des réactions restrictives des acteurs économiques.
Au total, en 2020, la perte de production, et par conséquent la baisse du revenu national qui en est l’exacte contrepartie, sera en France de près de 10%. Certains ont déjà perdu leur emploi, mais dans leur ensemble les salariés ont jusqu’à présent été à peu près tirés d’affaire par les mesures de chômage partiel. En revanche, les entreprises ont enregistré un effondrement de leurs marges et de leurs résultats, au total une baisse de 70 milliards d’euros.
À court terme, avec la fin du confinement des personnes, on devrait constater aussi un "déconfinement des porte-monnaie" gonflés par les reports de dépenses des dernières semaines. On assistera probablement à un rebond temporaire de la consommation. Mais, il ne faudra pas s’y tromper, on sera loin de la reprise, plutôt devant un risque de stagnation. Beaucoup d’entreprises sont en effet menacées dans leur existence même. Or, la seule façon pour une entreprise de limiter le risque d’insolvabilité est de comprimer rapidement toutes ses dépenses, investissements et coûts d’exploitation. Compte tenu de la violence du choc subi, ces comportements de survie risquent de conduire à une dépression économique durable, à des licenciements et à une forte hausse du chômage.
Notre suggestion pour éviter cet enchaînement est de contrer la multiplication des faillites et la baisse des investissements en ouvrant largement la possibilité de prêts participatifs aux entreprises. Les prêts participatifs existent dans notre droit, mais les conditions en sont très restrictives.
Nous proposons des prêts d’un type nouveau, qui n’entraîneraient aucune charge fixe d’intérêt et ne comporteraient aucune échéance déterminée. Ils seraient remboursables sur les résultats futurs de l’entreprise. Ce sont des quasi-fonds propres et, surtout, ces prêts auraient une durée variable, fonction du retour à la rentabilité. Les entreprises ne seraient pas en risque, puisqu’elles ne rembourseront que lorsqu’elles constateront des bénéfices. Elles pourraient donc continuer à investir et à nourrir l’activité.
En contrepartie, les actionnaires affecteraient un pourcentage de leurs bénéfices futurs au remboursement du prêt. Ils resteraient en revanche totalement maîtres chez eux, à l’opposé d’une prise de participation de l’État qui reviendrait à une nationalisation rampante.
Ces prêts nouveaux, garantis par l’État comme les prêts de trésorerie actuels, conviennent aux entreprises de toutes tailles. Pour les TPE et les PME, notamment celles contraintes de rester fermées au-delà de la période de confinement général comme les hôtels, les restaurants ou les théâtres, le plus simple serait l’indemnisation immédiate et totale par la collectivité des pertes d’exploitation résultant du confinement. Une somme leur serait versée en une fois pour solde de tout compte. L’entreprise pourrait dès lors repartir de l’avant.
À l’avantage économique s’ajoute un avantage budgétaire, bien utile dans le contexte actuel. Les déficits publics dépasseront en effet en 2020 tous les sommets historiques. En quelques semaines, ils ont brutalement augmenté du fait des dépenses massives nécessaires, mais aussi de la forte baisse des recettes. Plus de la moitié du déficit supplémentaire de 2020 provient de la baisse des recettes due au recul de l’activité. Les prêts participatifs soutiendront l’activité et les recettes publiques, mais ils ne grèveront que marginalement le déficit public. Il ne s’agit pas en effet de dépenses mais de simples mouvements de trésorerie "au-dessous de la ligne".
Le travail et l’investissement sont les clés du retour de la croissance. Relocaliser les industries essentielles en France passe par des investissements. Accélérer la transition climatique passe par des investissements. Mais il ne faut pas rêver. Ce qui nous menace aujourd’hui c’est une série de faillites et une forte baisse de l’investissement et de l’emploi. C’est ce risque qu’il faut conjurer rapidement. Les prêts participatifs proposés ici éloigneront cette menace et constitueraient la première étape de la relance.
Michel Didier
Président du comité de direction de l’institut Rexecode. Professeur honoraire au Conservatoire national des arts et métiers.
Tribune parue dans Le Figaro du 19 mai 2020