Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
La Chine privilégie de plus en plus sa monnaie dans ses transactions internationales, aux dépens du dollar. Le yuan chinois gagne aussi en importance comme devise internationale alternative entre certains pays tiers. Pour autant, la prééminence du dollar dans les transactions internationales ou les réserves en devises est loin d'être remise en cause. La "dédollarisation" reste encore symbolique selon Denis Ferrand, et est davantage mue par des choix géopolitiques qu’économiques.
La "dédollarisation" de l'économie mondiale est en marche. C'est en tout cas l'un des thèmes forts qui s'est récemment imposé dans l'analyse des flux monétaires et financiers mondiaux, au gré du franchissement de seuils significatifs ou d'annonces de règlements de transactions d'échanges commerciaux en une monnaie tierce, en particulier en yuan.
Reflet d'une défiance née notamment de l'exercice de l'extraterritorialité des règles américaines sur les opérations s'en dollar, la "dédollarisation" reste à ce stade un mouvement symbolique. La prééminence du dollar dans les transactions internationales ou les réserves en devises est loin d'être remise en cause, de même que l'attractivité des titres américains. Ces mouvements reflètent en réalité davantage la formation ou le renforcement de pôles économiques régionaux plus ou moins informels.
Dans les faits, plusieurs mouvements sont lourds de sens. Le principal est l'importance prise par le yuan dans les transactions internationales effectuées par la Chine, qu'il s'agisse de flux de marchandises, de services ou de flux de financement. Au début des années 2010, le yuan n'était aucunement utilisé dans ces transactions. Il le serait désormais dans plus de 50% d'entre elles.
En contrepartie, la part du dollar dans les transactions internationales de la Chine est tombée de 84 à 44%. De même, le yuan circule désormais hors de sa zone d'émission au gré du règlement de transactions commerciales dans cette devise entre deux partenaires non chinois. C'est le cas par exemple du règlement des importations de pétrole des Emirats arabes unis par l'Inde. Les sanctions occidentales à l'encontre de la Russie créent une puissante incitation à mettre en place des systèmes alternatifs, notamment la fermeture de l'accès russe au système Swift de règlement.
Ces transformations sont marquantes mais le processus n'en est probablement qu'à ses prémices. Certes, ses transactions internationales, y compris ses flux financiers, se font de plus en plus en yuan, mais les actifs que détient de la Chine sur l'étranger sont encore à près de 60% libellés en dollar. Cette part est assez stable depuis une dizaine d'années, selon les estimations de Brad Setser, éminent spécialiste de la question.
En outre, contrairement aux Etats-Unis, la Chine présente un excédent courant structurel. La circulation du dollar hors de sa zone d'émission a été permise par l'existence d'un fort et continu déficit américain des échanges courants, la circulation accrue du yuan hors de sa zone d'émission procède d'un choix bien plus politique qu'il ne se ferait sui generis.
Enfin, près de 60% des réserves mondiales en devises restent libellée en dollar et cette part est assez stable, contre moins de 3% pour le yuan (et 20% pour l'euro).
Autre signe fort, la Chine a significativement réduit sa détention directe de titres américains du Trésor. En 2011, à son acmé, elle a détenu jusqu'à 1.300 milliards de ces titres, soit 12% de leur encours d'alors. La Chine ne détient plus désormais que de 835 milliards de titres américains du Trésor et 3,2% de leur encours.
Ce recul interroge la capacité du Trésor américain à drainer l'épargne mondiale, dont on sait qu'elle abonde en Chine, pour couvrir des besoins de financement majeurs. Des substitutions se sont toutefois produites entre modes de détention directs et indirects. Alors que la détention directe par la Chine reculait, une détention indirecte, transitant par des places off-shore ou par la Belgique (via le système EuroClear), a fortement progressé.
En parallèle, les économies occidentales ont remplacé la Chine. En même temps que l'encours de titres du Trésor détenus directement par la Chine a reculé de 248 milliards de dollars depuis janvier 2022, celui détenu par l'ensemble constitué des économies de la zone euro, du Royaume-Uni, de la Norvège, de la Suisse et du Canada, augmentait de 251 milliards. Cette substitution intégrale vient toutefois refléter une forme de rétrécissement des circuits internationaux de financement du Trésor américain, de plus en plus originaires du "camp occidental".
Chronique de Denis Ferrand parue dans Les Echos du 5 septembre 2023, sous le titre Où en est la dédolarisation ?