Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
Le débat sur l'annulation de la dette se focalise sur l’examen du passif du bilan des administrations publiques et laisse à l’arrière-plan celui de son actif. La formation de la dette bénéficie-t-elle à des interventions publiques à même de fonder une croissance ultérieure qui garantirait sa soutenabilité ? Telle devrait être la question clé. Or dans le cas de la France, tandis qu'entre 2006 et 2019, la dette publique augmentait de 35 points de PIB, l’ensemble des actifs publics ne s’est accru que de 12 points. Un écart révélateur de notre difficulté à ajuster la dépense publique à un rythme de croissance tendanciellement déclinant.
Parce qu’il recèle une dimension juridique (compatibilité avec les traités européens) et financière (risque de hausse des taux) hautement inflammable, le débat sur l’annulation de la dette publique portée par l’Eurosystème risque fort de rester un débat borgne.
En se cristallisant sur le traitement à apporter à la dette publique accumulée, le débat se concentre sur une lecture tronquée d’un compte de bilan. Il se focalise sur l’examen du passif du bilan des administrations publiques et laisse à l’arrière-plan celui de son actif. Or, c’est moins la dette prise isolément qui importe que son affectation, celle-ci étant une condition de sa soutenabilité.
Un critère clé de la soutenabilité de la dette est la différence entre le taux d’intérêt réel et la croissance. Si le premier dépasse la seconde, l’effet "boule de neige" de la dette qui l'amène à croitre par simple inertie sous l’effet de son poids devient manifeste. La croissance demeure ainsi, au même titre que le niveau des taux, un critère clé de la soutenabilité. Dans ce cadre, une dette qui est assortie à la formation d’actifs crée des conditions propices à sa soutenabilité car elle contribue à préserver les conditions de la croissance de l’économie.
La définition de ce que sont les actifs en contrepartie de cette dette reste toutefois épineuse et malaisée: certaines dépenses courantes peuvent soutenir la croissance durablement (éducation, recherche, régalien…) sans pour autant être strictement comptabilisées comme formatrices d’un actif. De même, au cours de la récession liée à la pandémie de Covid, l’augmentation de la dette occasionnée par le déploiement de différents dispositifs de soutien, notamment à destination d’entreprises, a permis d’éviter des pertes en capital et donc une destruction d’actifs. Plus prosaïquement, comment valoriser certains actifs publics ? Versailles doit-il être valorisé à son coût de remplacement ? Comment mesure t-on la valeur de sa "marque" ?
Une approche simple consiste à comparer les trajectoires des actifs et de la dette.
De ce point de vue, l’évolution des actifs publics en France apparaît préoccupante.
Depuis 2006 et le Rapport Pébereau, l'augmentation de la dette publique n’a pas eu pour contrepartie une augmentation des actifs publics en proportion. En 2006, le poids de la dette publique était équivalent à 64 points de PIB. Fin 2019, il avait été porté à 99 points de PIB. Entre 2006 et 2019, face à l'accroissement de 35 points de PIB de la dette, principal élément figurant au passif des administrations publiques, l’ensemble des actifs publics s’est accru de 12 points de PIB selon l’Insee. Les seuls actifs non financiers ont progressé de 2,5 points de PIB. Ce modeste accroissement procède en outre pour partie d’un effet de valorisation, la valeur des terrains détenus par les administrations publiques ayant augmenté de 0,6 points de PIB depuis 2006, et donc par une faible formation de nouveaux actifs. La dette s’est ainsi accumulée sans hausse corrélative d’actifs à même de constituer une base de croissance ultérieure.
La question qui est posée renvoie alors à la difficulté structurelle que nous avons eue par le passé à ajuster la progression de la dépense publique à un rythme de croissance tendanciellement déclinant - condition indispensable pour stabiliser le ratio de dette sans hausse des prélèvements. Cette question risque de devenir d’autant plus critique si le taux de croissance potentielle en sortie de crise devait baisser d’un nouveau palier, comme cela a été le cas après chaque récession depuis plus de 40 ans.
Le texte original de cette tribune est paru dans Les Echos du 1er mars 2021