Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
Affirmer que la réforme des retraites ouvrira la porte aux fonds de pension semble très exagéré selon E. Jessua, directeur des études de Rexecode, Le système universel reste fondé sur la répartition: les cotisations obligatoires des actifs d’aujourd’hui payent les pensions actuelles. Il n'a rien à voir avec un système par capitalisation, où chaque actif place librement son épargne pour financer sa retraite. Le plafonnement des cotisations des plus hauts salaires n'aura qu'une incidence marginale.
Affirmer que la réforme des retraites en préparation ouvrirait la porte aux fonds de pension me paraît très exagéré. Pour une raison simple : le projet gouvernemental change, certes, l’architecture du modèle actuel, mais il conserve son principe de base, celui d’être un système par répartition très socialisé.
Le système universel qui a pour ambition d’unifier 42 régimes très disparates, continuera, de fait, de fonctionner grâce à des cotisations obligatoires, où les actifs d’aujourd’hui payent pour les pensions des retraités du moment. Cette réforme dite systémique n’a donc rien à voir avec la mise en place d’un système par capitalisation, où chaque actif décide de placer son épargne pour financer sa retraite.
La question peut éventuellement se poser pour les cadres très supérieurs dont une partie des revenus pourrait ne plus être soumise, demain, à des cotisations. Mais là encore, quand on regarde quelles sont les sommes en jeu, on s’aperçoit qu’elles sont marginales rapportées au système d’ensemble.
Que prévoit en effet le projet de réforme ? D’appliquer un même taux de cotisation - un peu plus de 28 % - à tout le monde, chaque euro cotisé ouvrant les mêmes droits à pension. Mais les plus hauts revenus se verront appliquer ce taux uniquement jusqu’à 120.000 € par an, soit environ 10.000 € mensuels. Au-delà du plafond de 120.000 euros/an, le taux appliqué sera de 2,8%, mais n’ouvrira plus de droit à pension, les sommes perçues servant à alimenter un fonds de solidarité.
Le plafonnement des cotisations va donc "libérer" du revenu disponible pour ceux qui gagnent le plus, ce qui réduit objectivement l’universalité du système. Mais les estimations évoquent un montant de l’ordre de 2 à 3 milliards d’euros par an. Ce n’est pas rien, mais cela représente une goutte d’eau par rapport au total des dépenses de retraites qui représentent 14% du PIB.
Par comparaison, en Allemagne, le plafonnement de cotisations s’applique dès 6.700 € par mois environ dans les Länder de l’Ouest, un peu moins dans ceux de l’Est. Or, Outre-Rhin, les retraites privées ne représentent pas plus de 10% des dépenses publiques de retraites. En France, on commence à peine à entrouvrir la porte.
Le vrai sujet posé par cette réforme est qu’elle accentue, pour l’instant, de l’incertitude et donc l’inquiétude des actifs sur la retraite qu’ils percevront. Les objectifs poursuivis sont louables: bâtir un système plus simple, plus lisible, mieux pilotable et qui favorise les mobilités. Mais lorsqu’on fait une telle réforme à budget constant, on est sûr de faire des gagnants et des perdants sans qu’on contrôle bien ces redistributions. C’est donc le type de réforme qu’il est préférable de faire quand on est en bonne situation financière, quand on peut éventuellement indemniser les perdants. Actuellement, il n’est pas sûr que la France en ait les moyens.
Propos recueillis par Antoine d’Abbundo
A retrouver sur le site de La Croix :"Emmanuel Jessua : Le système des retraites reste très socialisé" 20 décembre 2019