Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
Depuis plus de trois décennies, malgré les annonces politiques et les réformes diverses, la France ne sort pas du chômage de masse. Pourquoi bute-t-on encore sur ce "noyau dur" du chômage? Les réformes récentes du travail seront-elles efficaces? Quels sont les leviers qui permettraient de faire enfin baisser durablement le chômage? Les réponses, d' Emmanuel Jessua, directeur des Etudes de Rexecode sur RFI.
• Le chômage baisse depuis 3 ans, mais cette baisse ralentit sur la période récente
Les statistiques qui font foi sont celles de l'Insee, correspondant aux normes du BIT et qui sont obtenues par une interrogation directe des ménages chaque trimestre. Elles montrent que le chômage baisse depuis 3 ans mais que cette baisse tend à s'atténuer. Au 2° trimestre 2018, le taux de chômage s'élevait à 9,1% pour l'ensemble de la France, 8,7% en France métropolitaine.(1)
Toute la question est de savoir si cette baisse va se poursuivre. Or, on a plutôt des signes de ralentissement. En particulier, les créations d'emplois ralentissent nettement par rapport au rythme très soutenu de 2017 (entre 50.000 et 100.000 créations d'emplois par trimestre, contre environ 30.000 aujourd'hui). On risque de rentrer dans le "noyau dur" du chômage, comme le signalent également la montée des difficultés de recrutement.
• La réduction du coût du travail peut avoir un effet très rapide sur l'emploi, mais les politiques structurelles du fonctionnement du marché du travail mettent davantage de temps à produire des effets sur le chômage et peuvent même avoir un effet transitoire négatif à court terme. C'est le cas par exemple de la loi El Khomri et, dans la continuité, des ordonnances travail qui jouent à la fois sur la sécurisation juridiques des ruptures de CDI et la décentralisation du dialogue social au niveau de l'entreprise. Il faudra du temps pour que les entreprises se l'approprient et négocient de nouveaux accords. Il peut y avoir paradoxalement à très court terme, un surcroit de licenciements.
• Le constat est cruel : la France reste sur un plateau de chômage élevé depuis 35 ans. Depuis 1983, le taux de chômage en France métropolitaine fluctue autour de 8,5%. Il n'est redescendu qu'une seule fois sous 7%, un seul trimestre, juste avant la crise financière de 2008. La France constitue bien de ce point de vue une anomalie en Europe, juste après l'Espagne.
Que faire ?
• Pour réduire le chômage, l'idée n'est pas d'abaisser la protection mais de protéger autrement
Sans transformer entièrement notre modèle social, il s'agit d'adapter le système de protection à une économie d'innovation et de changement technologique. Il s'agit de passer, à l'image du modèle scandinave, d'une logique où l'on protège les postes, à une logique où l'on protège les personnes et où on leur donne les moyens de rebondir. C'est un peu le sens de la politique gouvernementale actuelle. L'idée est de conjuguer la flexibilisation du marché du travail, et la formation pour permettre aux travailleurs de rebondir vers des secteurs et des métiers plus porteurs.
• Le noyau dur du chômage est lié aux qualifications
En France, le chômage concerne principalement les moins qualifiés (environ 60% des personnes au chômage n'ont pas atteint le Bac). Les enquêtes PIAAC de l'Ocde, qui évaluent les compétences de la population active, montrent aussi que la France se situe plutôt en queue de classement sur des compétences de base (capacité à lire et comprendre un texte, à faire des calculs simples). Ce problème de qualification a des conséquences sur les personnes et sur les entreprises. On rétorque souvent que la France est très productive, mais elle l'est justement parce que les moins productifs sont écartés de l'emploi. Le rapport entre le niveau du salaire minimum et le salaire médian est en France le plus élevé des pays l'Ocde. Des allègements de charges ont certes été adoptés pour abaisser le coût du travail le moins qualifié, mais il faut les financer par d'autres prélèvements.
Ce constat suppose de trouver le bon curseur entre inégalités salariales et inégalités entre salariés et demandeurs d'emploi, ou encore salariés précaires. Il suppose également de réformer le système de formation, et pas seulement la formation continue. Le système éducatif français est très vertical, l'erreur est vite sanctionnée. Cette condamnation de l'échec a des conséquences sur le parcours éducatif mais aussi sur la capacité à entreprendre. C'est une différence de logique qui n'est pas neutre pour le dynamisme économique. Contrairement à la France, un échec entrepreneurial n’est pas vu comme un échec dans les pays anglo-saxons, mais comme une étape naturelle dans un parcours professionnel et entrepreneurial.
• La perte de compétitivité a pesé sur le chômage
Outre le marché du travail et les qualifications, il faut regarder la macroéconomie. Or, le fait structurel majeur de l’économie française est une perte de compétitivité par rapport à nos partenaires européens (pertes de parts de marchés à l’export, recul relatif de l'activité industrielle), suite à une profonde divergence de stratégie de politique économique entre la France (hausse du coût horaire du travail) et l’Allemagne (réformes Schröder) dans la première moitié des années 2000. Une décrue durable du chômage passera par une restauration de notre compétitivité. Elle suppose à la fois de baisse de prélèvements obligatoires sur les facteurs de production et d’une dynamique des salaires plus en phase avec les gains de productivité.
Le chômage, une institution française
RFI - "Eco d’ici d’ailleurs" du 18/11/2018
Emission animée par Jean-Pierre Robin
avec :
- Emmanuel Jessua, directeur des Etudes de Rexecode
- Etienne Lehmann, professeur d'Economie à l'Université Paris 2 Panthéon Assas
(1) A noter : Selon les données publiées par l'Insee le 20/11/2018 le taux de chômage atteint 9,1% en France et 8,8% en France métropolitaine au 3e trimestre 2018.