Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
Le salaire moyen réel, une fois prise en compte l'inflation, a baissé en France depuis 2019, et pourtant le partage de la valeur n'a pas été défavorable au salariés. Ce recul du pouvoir d'achat du salaire moyen reflète en réalité la baisse de près de 5% de la productivité du travail sur cette période. "C'est un des principaux enseignements de notre étude, ce fort recul est dû essentiellement a des effets de structure du marché du travail' rappelle Olivier Redoulès sur le plateau de BFM Business.
Olvier Redoulès expose dans l'émission de BFM, Good Morning Business, les principaux enseignements de son étude sur l'évolution des salaires et de la productivité en France.
Le salaire moyen a baissé depuis 2019. On retrouve la logique de la théorie économique, la productivité a baissé donc les salaires moyens ont baissé, d'un point de vue macro ?
Olivier Redoulès - Absolument. C'est plus précisément le salaire moyen réel, c'est à dire déflaté des prix à la consommation. Et il a baissé du fait d'une baisse de la productivité de 4,9% à peu près sur l'ensemble des secteurs de l'économie, alors que par ailleurs, et ça c'est un peu inattendu, le partage de la valeur a plutôt évolué en faveur des salariés, puisque la part des salaires dans la valeur ajoutée a légèrement augmenté. On se n’attendait pas à cela.
Une baisse de la productivité de plus de 4% depuis 2019, c’est beaucoup. Qu'est-ce qui explique cela ?
C'est énorme. C'est dû essentiellement, et c'est un des principaux enseignements de notre étude, a des effets de structure du marché du travail. D'une part, ce sont les secteurs les moins productifs, c'est à dire les plus intensifs en main d'œuvre qui sont responsables de l’essentiel des embauches, cela abaisse la moyenne. D’autre part, on a fait beaucoup d'embauches d'apprentis, donc forcément une personne en apprentissage est moins productive. Mais on est aussi allé chercher des gens qui étaient à l'extérieur du marché du travail et qui, là aussi, peuvent avoir besoin d’une formation, de gagner de l'expérience.
Cela signifie que sur le plan individuel, les salaires ont bien augmenté ? Simplement les nouvelles personnes qui sont entrées sur le marché du travail l’on fait dans des métiers moins productifs, soit elles-mêmes étaient moins productives ?
Effectivement si on se place au niveau individuel, le salaire mensuel de base a bien augmenté. Il a un peu perdu en pouvoir d'achat pour les cadres, mais il faut y ajouter les primes, notamment les primes de partage de la valeur ajoutée qui ont été massivement versées par les entreprises. Globalement, il y a eu assez peu de perte de pouvoir d'achat au niveau individuel. Rappelons par ailleurs que l’on est dans un contexte de choc d'inflation importée, d’où un petit décalage dans le temps entre inflation et salaires. Les négociations salariales actuelles laissent d’ailleurs attendre pas mal de de revalorisations.
C'est là où c'est difficile pour les entreprises, parce qu’il a cette tension sur les salaires, et en même temps, cette baisse de productivité. Elles sont prises entre deux feux.
La baisse de productivité qui n'est pas liée à ces effets de structure du marché du travail concerne quelques secteurs spécifiques, par exemple, les matériels de transport, la construction, ou l'énergie. Cela pose de vraies questions pour la suite sur leur capacité de rattrapage. Pour l'électricité, avec EDF, on sent bien que cela va être possible, mais dans d’autres secteurs, où il y a une vraie transformation des façons de travailler, cela va vraiment poser des questions sur la rémunération des salariés.
Peut-on parler d'une économie à deux vitesses ? Certains secteurs, on le voit avec la hausse moyenne de salaire à 5% cette année, ont permis à leurs salariés de gagner davantage, tandis que dans d’autres secteurs la dégradation du pouvoir d'achat est peut être plus importante. Cela expliquerait une sorte de dichotomie dans le pays.
Absolument, et je pense que cette dichotomie comme vous dites, doit servir de "signal-prix" à des réallocations de main d’œuvre. Cela doit encourager la mobilité professionnelle des travailleurs, des entreprises et secteurs les moins productifs vers les plus productifs. C'est comme cela que l'on fait des gains de productivité au niveau économique sur la durée, et des gains de pouvoir d'achat au niveau macroéconomique.
- Cela sera une étude très éclairante, pour la grande conférence sociale du lundi 16 octobre.
Interview d'Olivier Redoulès par Christophe Jakubyszyn et Laure Closier
BFM Business, Good Morning Business, 12/10/2023