Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
Recul du chômage, hausse des embauches en CDI, baisse de l'inactivité et du temps partiel subis sont autant d'indicateurs qui confirment la réalité de la reprise de l'emploi en France. Ils vont cependant de paire avec l'exclusion croissante des travailleurs les moins qualifiés d'un marché du travail qui donne une surprime au diplôme, y compris pour le travail indépendant. La baisse du chômage ne pourra se poursuivre sans une politique d'insertion et donc de formation de cette population.
La poussière a bien du mal à retomber sur le sujet sensible de l’évolution de l’emploi et du chômage. Entre les laudateurs qui s’extasient d’un taux de chômage retombé sous 8% de la population active (en France métropolitaine) et les sceptiques qui ne voient que développement de la précarité dans les indéniables créations d’emplois, les visions semblent irréconciliables.
Il en va pourtant de l’économie en général et de l’analyse du marché du travail en particulier comme de certains romans à très gros tirage, la réalité se teinte souvent de nuances qui vont du gris clair au gris foncé.
• La croissance française est riche en emplois, et en emplois de qualité
Le gris clair, et même très clair, tout d’abord. Courant 2019, 210.000 postes ont été créés dans le secteur privé, une hausse de 1,1% à comparer à une croissance du PIB de 1,2%. Cela fait quand même beaucoup d’emplois au regard de la croissance.
Le taux d’emploi à temps complet n’a jamais été aussi élevé. Fin 2019, 54,3% des 15 à 64 ans sont employés à temps complet. La part de l’emploi à temps partiel dans l’emploi total recule (-0,7 point) et le taux d’emploi en CDI a gagné 0,8 point depuis 2015, l’année qui a précédé les réformes du marché du travail dites El Khomri puis les ordonnances de l’automne 2017.
Depuis fin 2015, le nombre de personnes comptabilisées soit comme chômeurs au sens du BIT, soit dans le halo autour du chômage (les personnes inactives mais qui souhaiteraient travailler), soit en situation de sous-emploi (les personnes embauchées à temps partiel qui souhaiteraient travailler plus) a baissé de 767.000, soit - 12,1%, et de 220.000 courant 2019.
• Mais les moins qualifiés sont durablement exclus de la reprise de l'emploi
Le gris foncé, ensuite. Celui-ci émarge avant tout au registre de l’exclusion. Celle des inscrits de longue date sur les registres de Pôle Emploi tout d’abord. Une seule catégorie de demandeurs d’emploi est en progression sur un an: celle des inscrits depuis plus de trois ans.
Plus largement, l’exclusion de l’emploi de la population disposant du plus faible niveau de formation initiale est frappante. Fin 2019, 6,8 millions de personnes sont comptabilisées dans ce que les systèmes internationaux de classification des niveaux d’éducation appellent les CITE 0 à 2, soit les personnes ayant un niveau d’éducation qui est au plus celui du premier cycle de l’enseignement secondaire. Leur nombre recule: ils étaient 11 millions il y a quinze ans pour ce qui concerne les personnes âgées de 20 à 64 ans. Mais leur insertion dans l’emploi recule plus encore. Le taux d’emploi des moins qualifiés est tombé à un peu plus de 51% en 2019 alors qu’il était de 58,5% quinze ans plus tôt. Il est désormais le plus bas des grands pays de la zone euro alors qu'il était le plus élevé il y a quinze ans.
• Le marché du travail français accorde plus qu'ailleurs une surprime au diplôme
Le recul de l'emploi des moins qualifiés s’explique sur la période récente par la baisse des emplois aidés qui concernaient au premier chef cette population. Il tient surtout à la surprime accordée au diplôme. Cette surprime s’avère plus que jamais une forte garantie d’insertion dans l’emploi, fût-ce au prix d’un déclassement dans l’échelle des qualifications qui aboutit à l’éviction des moins formés.
Ne comptons pas sur l’uberisation pour faciliter l’insertion des moins diplômés: le nombre d’indépendants au plus faible niveau de formation initiale a reculé en 2019 de près de 20.000 postes quand il progressait de 64.000 pour ce qui concerne les indépendants ayant le plus haut niveau d’éducation initiale.
La poursuite de la baisse du chômage passera par la capacité du marché du travail à réinsérer dans l’emploi cette population qui s’en éloigne de plus en plus. La politique de la formation est décisive sur ce point au risque sinon de voir durablement cohabiter des difficultés de recrutement généralisées à tous types de métiers et un taux de chômage toujours élevé en comparaison européenne.
Education, chômage : la double peine des non-qualifiés
Chronique de Denis Ferrand publiée dans Les Echos du 25/02/2020