Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
Pour la France, le choc de prix prend d'abord la forme d'une amputation du pouvoir d’achat de l’économie dans son ensemble en raison de la détérioration des termes de l’échange. Mais ce choc est inégalement réparti. Il varie pour les entreprises selon leur pouvoir de marché et leur secteur. Du côté des salariés, même moindre que l’inflation, l’accélération des salaires semble amorcée, mais pourrait creuser les inégalités entre insiders et outsiders. Plus largement, la hausse des prix de première nécessité et l’indexation des loyers pénalisent particulièrement les ménages les plus modestes.
Par la brutalité de sa résurgence, l’inflation donne rapidement à voir ce qu’elle occasionne, à savoir des conflits de répartition à trois niveaux.
• Le premier est l’international. Le choc de prix en France est en premier lieu un prélèvement du pouvoir d’achat de l’économie qui tient à la détérioration des termes de l’échange. Les prix des importations françaises progressent bien plus vite que ceux des exportations (respectivement +15,9% et +11,9% sur un an). Cet écart représente une amputation du PIB en valeur de plus de 11 milliards d’euros, soit 0,5 point de PIB. Une nouvelle répartition de la valeur s’opère ainsi entre économies avec l’évolution de leurs systèmes de prix relatifs.
• Le deuxième conflit s’opère parmi les entreprises et dans leur relation avec l’acheteur public. Selon leur pouvoir de marché et leur secteur, les entreprises se retrouvent en position de preneuses ou de faiseuses de prix. En conséquence, certaines voient leurs besoins en fonds de roulement croître avec le choc de coût qu’elles subissent quand d’autres voient leur cash-flow augmenter. La situation générale favorable de la trésorerie des entreprises, dont les dépôts représentent au total jusqu’à 26% de leur dette (21% fin 2019), masque ainsi une probable dispersion accrue des situations individuelles.
• Le troisième conflit se fait entre catégories d’agents économiques. Il s’agit notamment de la répartition de la valeur ajoutée des entreprises entre rémunérations des salariés et résultats d’exploitation, répartition d’une grande stabilité depuis trente ans en France. Les salaires réagissent avec retard aux évolutions de prix, les négociations salariales se faisant sur la base de l’inflation constatée plutôt qu’anticipée. Mais ils réagissent : l’élasticité à court terme des minimas salariaux de branche à l’inflation est ainsi estimée à 0,6.
Même moindre que l’inflation, l’accélération des salaires semble amorcée, d’autant que les importantes difficultés de recrutement incitent à une fidélisation accrue de la main d’œuvre. Cette accélération peut occasionner un autre conflit de répartition, cette fois entre employés selon leur insertion dans marché du travail. Les écarts entre insiders et outsiders peuvent s’accroître si les évolutions de salaires se font au détriment de créations d’emploi ou de hausse du volume horaire de salariés à temps partiel.
Pourquoi les ménages les plus modestes sont davantage pénalisés
Plus largement, la nature même de la résurgence actuelle de l’inflation et des mécanismes d’indexation qui lui sont liés pénalise particulièrement les ménages aux plus faibles niveaux de revenus.
• Tout d’abord, le choc de prix se porte surtout sur les biens de première nécessité dont le poids dans le budget des ménages décroît avec le niveau de revenu. L’énergie pèse pour 10% du budget des ménages du premier décile contre 6,8% pour ceux du décile le plus aisé. De même, les prix des produits alimentaires (+4,2 % sur un an en mai) qui vont probablement encore accélérer, pèsent lourdement en termes relatifs dans le budget des plus modestes.
• Ensuite, l’indice de référence des loyers, qui fixe les plafonds des augmentations annuelles des loyers, est calculé à partir de la moyenne de l'évolution des prix sur les 12 derniers mois (hors tabac et loyers). L’indexation des loyers entretient ainsi la boucle inflationniste, Elle pose la question de la répartition entre propriétaires et locataires et joue dans un sens anti-redistributif. Entre deux locataires hors logements sociaux, le taux d’effort pour se loger varie du simple au double selon qu’il se retrouve dans le quartile le plus élevé ou le plus bas du niveau de revenu. Un ménage locataire sur cinq consacre plus de 40% de ses revenus à son logement.
• En avril, la hausse des prix est déjà supérieure de 0,4 point pour les ménages aux plus bas revenus (premier quintile) par rapport à l’ensemble des ménages. Cet écart risque de s’accroître encore pour les raisons précédentes. Notons enfin que seuls 23% des ménages du premier quartile étant endettés (contre 68% pour ceux du dernier quartile), ils bénéficient relativement moins du désendettement réel qu’occasionne l’inflation en érodant la valeur des dettes anciennes.
La mécanique anti-redistributive de l’inflation s’exerce ainsi par plusieurs leviers, ce qui invite à cibler les éventuelles interventions visant à en limiter les dommages vers les ménages les plus modestes.
Chronique de Denis Ferrand publiée dans Les Echos du 13 juin 2022
Sur ce thème voir aussi l'intervention de Denis Ferrand (Pas la même inflation pour tous) sur LCI, dans l'émission "24h Pujadas" du 10 juin 2022 animée par Amélie Carrouër