Après la nomination de François Bayrou à Matignon, Moody’s a dégradé d’un cran la note de la dette française, témoignant de ses doutes sur la capacité politique de la France à redresser ses finances publiques. Dans un entretien à la tribune, Denis Ferrand rappelle que la loi de Finances spéciale examinée cette semaine au Parlement implique une amélioration "technique" des comptes publics en 2025, mais qu'elle est largement insuffisante face à l'effort budgétaire à consentir, dans un contexte de ralentissement conjoncturel et d'alourdissement de la charge de la dette.

Dans la nuit de vendredi à samedi, Moody's a dégradé d'un cran la note de la dette française, à Aa3. C'est une première alerte pour François Bayrou ?

Denis Ferrand - Normalement Moody's ne devait pas se prononcer maintenant, mais dans les mois prochains. Le fait qu'elle le fasse plus tôt, dès la nomination du Premier ministre, en évoquant une "fragmentation politique" témoigne de ses doutes quant à notre capacité à tenir notre trajectoire de finances publiques.

À ce titre, la séquence dont nous sortons est dramatique. Rappelons-nous, lorsque Michel Barnier arrive à Matignon, il évoque 60 milliards d'euros d'économies, un tiers par augmentation des impôts et le reste par réduction de la dépense publique. Au fur et à mesure qu'évolue le débat parlementaire, la tendance s'inverse: deux tiers sur les impôts et prélèvements sur les ménages et les entreprises, et un tiers de coupes dans la dépense publique. C'est bien le signe que même en affichant une détermination forte à rétablir nos comptes, on se heurte à une forme d'inconséquence budgétaire. 

Or les marges de manœuvre de François Bayrou promettent d'être tout aussi limitées que celles de son prédécesseur. C'est bien le message des agences : quel que soit le Premier ministre, faute de majorité, la stabilité politique se fera sur le dos des finances publiques. D'ailleurs, les marchés n'ont pas attendu les agences de notation pour sanctionner notre légèreté face aux dérapages budgétaires: depuis la dissolution, nous avons pris de 35 à 40 points de base de différence avec les taux d'intérêt allemands.  Et on ne voit pas d'amélioration: on risque en 2024 comme en 2025 de rester entre 5,5% et 6% de déficit. 

Avec la loi de finance spéciale, on fera des économies sans l'avoir voté ni choisi. Pour autant, nous allons finir à 6,2% de déficit en 2024, et probablement entre 5,5% et 6% du PIB en 2025. 

La loi de finances spéciale, discutée cette semaine au Parlement, assure la reconduction des dépenses et crédits de 2024 à l'identique.  Nous avons calculé chez Rexecode que ce gel permet une amélioration "technique" de nos comptes de 23 milliards d'euros ex ante.

- Côté recettes, la non-indexation du barème de l'impôt sur le revenu sur l'inflation rapportera 3,7 milliards d'euros de recettes fiscales. Les impôts de production des entreprises sont aussi maintenus à hauteur de 4 milliards d'euros. 

- Côté dépense, la reconduction à l'identique et à l'euro près des crédits de l'État de 2024 représentera 15 milliards d'euros de dépenses publiques en moins. La loi de programmation militaire, par exemple, qui induisait une hausse de la dépense militaire en 2025 ne peut s'appliquer sans vote d'un budget. Finalement, on fera des économies sans l'avoir voté, choisi. 

Mais, malgré cela, nous allons finir à 6,2% de déficit en 2024, et probablement encore entre 5,5% et 6% du PIB en 2025. 

Pourquoi ? D'abord, parce qu'il y a encore d'importantes inconnues sur 2024. Nous ne disposons pas encore de l'ensemble du bilan budgétaire des Jeux olympiques et paralympiques, notamment sur les dépenses de sécurité. Et puis, ces derniers mois, l'investissement décroche, la consommation stagne, l'épargne de précaution se maintient. Les ménages craignent plus des pertes d'emplois que de simples hausses d'impôts. Les recettes fiscales risquent d'être une nouvelle fois moins bonnes que prévu, notamment parce qu'il y aura moins de recettes de TVA. Sans oublier la charge de la dette, qui depuis la dissolution a pris 1,2 milliard d'euros. 

L'économie déteste ne pas avoir d'horizon. On attend le budget du nouveau gouvernement mais, tout le monde, ménages comme entreprises, se dit qu'il va falloir fournir des efforts, et reste sur ses gardes.

François Bayrou tentera de donner un cap. Mais cela n'empêchera pas les entreprises d'être dans un épais brouillard. Or, l'économie déteste ne pas avoir d'horizon. Certes, avec la chute du budget de Michel Barnier, la surtaxe sur les grands groupes a disparu, mais les patrons ont bien compris que toutes les propositions tournent autour de hausses d'impôts sur les sociétés. Idem pour les ménages, qui s'attendent à des prélèvements en plus. On attend le budget, mais tout le monde se dit qu'il va falloir fournir des efforts, et reste finalement sur ses gardes.

Interview de Denis Ferrand par Fanny Guinochet

Economie : "La stabilité politique se fera sur le dos des finances publiques"
La Tribune, 15 décembre 2024