Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
Interviewé dans le quotidien L'Opinion, Jean-François Ouvrard rappelle que le CICE a largement contribué à redresser les marges des entreprises françaises.Cependant 30 milliards d'euros nous séparent encore des niveaux d'avant-crise et le redressement est inégal selon les secteurs. Les services de prestation intellectuelles ne voient pas leurs marges se redresser.
Les marges des entreprises non financières ont globalement chuté entre 2008 et 2014 passant de 32%-33% à 29% début 2014. Cette glissade s'explique par le fait que les salaires ont cru beaucoup plus vite que la valeur ajoutée. Plus précisément, avec la crise, les entreprises ont subi un très fort choc de productivité puisque nous sommes passés d'une progression annuelle de 1% à 1,5% à une quasi stabilisation. Or au même moment, les salaires ont continué à progresser, ce qui a pesé sur la rentabilité. Heureusement, depuis mi-2014 la situation s'est inversée et les marges des entreprises sont remontées à 31% en moyenne, regagnant près de 2 points, soit la moitié du chemin perdu.
Il y a trois facteurs principaux. Le premier joue de façon plutôt neutre : c’est la modération salariale à l'œuvre depuis deux ans. Les salaires se sont plus ou moins ajustés aux faibles gains de productivité de l'économie française. Le deuxième facteur est la très forte baisse du prix du pétrole. Le troisième est le CICE, qui a joué très positivement en redonnant près de 20 milliards de baisse de charges aux entreprises. Ce crédit d'impôt explique les deux tiers du redressement des marges, le pétrole constituant le tiers restant.
Non, on observe en particulier une forte dichotomie entre les services et l'industrie. Depuis 2008, les services ont vu leurs marges baisser de façon plus importante que dans l'industrie et depuis 2014 c'est aussi dans l'industrie que les marges se redressent le plus rapidement. Au sein même des services les écarts sont importants.
Les services à prestation intellectuelle (activités d'ingénierie, de conseil, de formation professionnelle ou d'informatique) ont particulièrement souffert pendant la crise et ne voient pas leurs marges se redresser. Ce secteur, qui générait beaucoup de gains de productivité, n'en crée plus. En outre, la concurrence y est très forte sur les prix. Enfin, il a peu profité de la baisse du pétrole et du CICE. Au final, l'excédent brut d'exploitation - c'est-à-dire la marge opérationnelle - a fondu de 30% pendant la crise et le taux de marge a chuté de 5,6 points, soit bien plus que dans le reste de l'économie.
Avec le CICE, nous avons réalisé environ la moitié du chemin. Il faut encore récupérer 3 points de valeur ajoutée pour retrouver les niveaux d’avant-crise (30 milliards d'euros environ). Il y a deux façons d'y parvenir : soit tabler sur un fort rebond des gains de productivité, ce qui devrait se produire à un moment ou à un autre mais reste difficile à quantifier alors que la croissance potentielle française a baissé. Ou alors envisager une modération salariale de très grande ampleur. 30 milliards d'euros, c'est 5% de la masse salariale des sociétés non financières. Une baisse brutale de cette ampleur est impossible. Dans tous les cas, nous ne retrouverons les taux de marges d’avant-crise que si les salaires augmentent moins vite que la productivité.
Propos de Jean-françois Ouvrard, directeur des Etudes de Coe-Rexecode,
recueillis par Muriel Motte et Cyrille Lachèvre
Article complet disponible pour les abonnés sur le site de l'Opinion.