Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
Au delà de l'injection de 100 mds€ dans l'économie, le rôle du Plan de relance est d'ancrer les anticipations, avec en ligne de mire l''investissement. A court terme, l'enjeu est d'éviter d'entrer par manque de confiance dans un cercle dépressif. A moyen terme, il peut donner un horizon dans le contexte des grandes transitions énergétique, environnementale et numérique. Car les questions posées aujourd'hui aux entreprises concernent le niveau de la demande mais aussi la manière de produire. À ce titre, le plan de relance peut être un moment d’opportunités.
• Où en est l’économie française en cette rentrée ?
Avec cette crise sanitaire, il y a eu une séquence de plongeon, puis une phase de rattrapage dans laquelle nous sommes. Ensuite, il y aura la digestion. La perte de production entraîne une baisse des revenus. Sur 2020, cette dernière sera absorbée aux deux tiers par les administrations publiques. Mais cela touchera aussi les entreprises qui vont couper dans les dépenses sur lesquelles elles ont la main : l’investissement et l’emploi. En revanche en 2021, 2022 et 2023, selon la Banque de France, les pertes de revenus vont davantage affecter les entreprises, puis progressivement les ménages.
• Si la situation sanitaire s’aggrave, l’économie peut-elle vivre avec le virus ?
Il n’y aura pas les mêmes réactions en termes de comportements ou de décisions administratives contraignantes qu’au printemps, mais la tentation du report d’investissement est forte. Selon nos enquêtes réalisées avec Bpifrance et l’AFTE, 2/3 des petites comme des grandes entreprises envisageaient des reports ou des annulations pures et simples d’investissements.
Il faut réussir à donner de l’aspiration à la croissance. Sans cela, nous rentrerons dans un cercle mortifère : moins d’investissement, moins de capital pour produire, moins de gains de productivité, avec, à la fin, un impact sur le potentiel de croissance.
Nous avons examiné la situation après les crises de 1975, de 1993 et de 2008 : à chaque crise, la croissance était plus faible dans les cinq années suivant la récession que lors des cinq années la précédant. Après 1993 et 2008-2009, nous avons perdu à chaque fois 0,7 point de croissance potentielle. Avant la crise du Covid-19, nous étions en moyenne à + 1,1% en France, cela veut dire que vous passez à 0,4%. Si vous y ajoutez une croissance de la population de 0,3%, la croissance potentielle par habitant tombe à 0,1%.
• Le plan de relance peut-il contrer l'effet de la crise sur la croissance potentielle ?
La relance intervient dans un contexte spécifique de gestion en parallèle de grandes transitions – énergétique, environnementale et numérique. Ce plan de relance, ce n’est pas uniquement de l’argent mis sur la table, il peut donner un horizon, y compris technologique. Il doit pouvoir ancrer des anticipations.
L’enjeu, c’est l’investissement. Car les questions posées aux entreprises concernent le niveau de la demande existante, mais aussi la manière de produire. À ce titre, le plan de relance peut être un moment d’opportunités. Il faut également travailler sur une démarche concertée au niveau européen avec une politique industrielle cohérente. Ces plans de relances nationaux qui s’additionnent doivent être des réducteurs d’incertitudes.
• Le dispositif du gouvernement sur les fonds propres des entreprises est-il clé ?
Oui, clairement, car il va y avoir une déformation de la structure du bilan des entreprises. Le poids de la dette rapporté aux fonds propres va augmenter par un effet du numérateur, tant à travers les prêts garantis par l’État [PGE] que la hausse des besoins en fonds de roulement, et du dénominateur avec des fonds propres écornés, ce qui est classique dans les périodes de retournement. L’intérêt des prêts participatifs, c’est qu’ils ne donnent lieu à remboursement que lorsqu’il y a retour à meilleure fortune de l’entreprise et qu’il n’y a pas de droit de propriété associé.
Spontanément, une partie va aller dans la consommation. Mais, et c’est inévitable, une partie de l’épargne forcée va se transformer en épargne de précaution. Ce qui est rassurant, c’est que l’on ne va pas construire un nouveau "machin" pour drainer l’épargne vers les entreprises, mais on pourrait penser à assouplir des dispositifs existants comme le PEA et l’assurance-vie.
Il y a un besoin de sécurité qui vaut tant pour les ménages que les entreprises. Une partie des PGE a été levée pour faire face à des échéances encore inconnues. Dans les entreprises, le montant du cash sur les dettes a explosé. Tout le monde se met sur une position de liquidité, car on ne connaît pas encore l’ampleur du choc économique et social. Personne n’a envie de se retrouver nu quand la mer se retirera. C’est un comportement rationnel que le plan de relance doit contrer en offrant une perspective.
• Quels sont les défis pour l’industrie française ?
La menace pour l'industrie française, c’est un nouveau décrochage en matière de compétitivité, avec les difficultés de notre point d’appui, l’aéronautique. Le secteur risque d’être en difficulté pour quelques années. Mais méfions-nous aussi des prédictions définitive. Après les attentats du 11 septembre 2001, on estimait que l’aéronautique serait grillée pour cinq ans, or elle a vécu dans la foulée ses plus belles années.
La réindustrialisation qui consiste à croire que l’on va relocaliser ce qui est parti en Chine n’a pas de sens, car on ne relocalisera pas ce qui coûtera plus cher. Repenser des sources d’approvisionnements à des conditions de coûts identiques oui, mais payer 15% de plus pour un produit estampillé France ne dure que le temps d’une crise. Ce qui est en question, c’est de sortir des modèles du low cost. Les entreprises qui se réinventeront pour introduire de la personnalisation, de la spécification s’en sortiront.
• Quel peut-être le frein à un changement de modèle industriel ?
Le vrai sujet, c’est la capacité à produire. Se priver de compétences pendant longtemps crée un risque de spirale vers le bas où l’industrie s’atrophie en continu. Nous sommes le pays de l’Union européenne qui a le plus faible poids de l’industrie dans son PIB, à l’exception de la Grèce, Chypre et Malte. À 10 % du PIB, des effets de seuils interviennent, dans les capacités de formation en particulier. Ce n’est pas seulement en mettant de l’argent que l’on fera revenir des activités en France, l’enjeu c’est aussi la capacité à former.
• Mais peut-il y avoir un nouveau décrochage de l’industrie française ?
C’est un risque, car avec l’attrition du commerce mondial, les parts de marché seront plus disputées. L’Allemagne, en particulier, voit un peu le sol se dérober sous ses pas. L’accès aux États-Unis est plus difficile, des économies émergentes comme le Brésil sont en grande difficulté, son grand export est handicapé. Légitimement, l’Allemagne va se recentrer sur les marchés européens sur lesquels nous aurons une concurrence plus frontale. Ce sera un défi.
Propos de Denis Ferrand, directeur général de Rexecode,
recueillis par Anne-Sophie Bellaiche et Pascal Gateaud
Les plans de relance sont des réducteurs d'incertitudes : l'intégralité de l'entretien est à lire dans l'Usine Nouvelle N°3673 du 10 septembre 2020