Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
Face à la résurgence de l'inflation, les fourmis françaises ont fait preuve d’un accès de frugalité bien plus marqué que leurs homologues européennes. Le taux d’épargne des ménages en France dépasse de 2,6 points son niveau de 2019, alors qu'il a baissé de 0,7 point dans le reste de la zone euro, où le taux d’épargne financière est désormais inférieur de 3 points au taux français. Selon Denis Ferrand, le caractère à la fois généreux et peu ciblé des mesures publiques d'atténuation du choc énergétique pour les ménages en France constitue une piste d'explication sérieuse.
Les réponses apportées par les épargnants à la résurgence d’inflation présentent des traits singuliers en France.
La part du revenu des ménages qui n’est pas consommée a atteint 18,5% au premier semestre 2023 en France, un sommet inédit hors période de confinement. Surtout, les fourmis françaises ont fait preuve d’un accès de frugalité bien plus marqué que leurs homologues européennes: le taux d’épargne des ménages français dépasse de 2,6 points son niveau atteint en 2019, quand il lui est inférieur de 0,7 point dans le reste de la zone euro.
Cet écart ne vient pas d’un goût plus prononcé en France pour l’investissement pour le logement, ce qui serait du reste surprenant au regard de la chute de la construction neuve. La part de leur revenu qui n’est ni consommée ni investie dans un actif non financier, soit le taux d'épargne financière des français, est désormais supérieur de 3 points à celui observé en zone euro, alors qu'ils étaient semblables en 2019.
Confrontés à la hausse des prix et donc à la perte de valeur de leur épargne passée qui en résulte, les ménages en France ont en fait cherché, et réussi jusqu’à présent, à préserver la valeur de leur patrimoine financier. Leurs actifs financiers réels dépassent en effet de 1% leur niveau de fin 2019 quand ceux détenus par l’ensemble des ménages européens lui sont inférieurs de 3,3%. Leur pouvoir d’achat futur que constitue leur patrimoine financier a ainsi été préservé en France. Et ce comportement ne paraît pas devoir changer tant les ménages continuent de voir dans la période actuelle un moment beaucoup plus propice à l’épargne qu’à la réalisation d’achats importants ou à l’investissement immobilier.
Comment expliquer cet écart d’environ trois points entre les évolutions de l’épargne en France et dans le reste de la zone euro?
D’un strict point de vue statistique, trois explications peuvent être avancées.
• La première piste, celle d'une évolution différenciée des revenus, est une impasse: les revenus ont suivi une trajectoire similaires en France (+13,3% en euros courants depuis 2019) et en zone euro (+13,6%).
• Les comportements de consommation expliquent un-tiers de l'écart d'épargne. Par rapport à 2019, les dépenses des ménages en volume en France sont inférieures d’un point à celles relevées en zone euro.
• Les évolutions de prix à la consommation en explique les deux-tiers. Si l’inflation a violemment augmenté partout en Europe, cette hausse s’est révélée moins forte en France que dans l’ensemble de la zone euro, avec un écart deux points et demi.
Un peu moins de la moitié de la moindre hausse de prix en France est expliquée par les prix des produits énergétiques. Ceux-ci ont contribué à hauteur de 3,2 points à l’inflation d’ensemble en France depuis 2019, mais de 4,3 points en zone euro. Cette moindre dérive des prix de l’énergie en France a notamment été obtenue à grands renforts de boucliers tarifaires ou de rabais sur l’essence, entre autres mesures d’atténuation du choc de prix subi.
Le FMI a ainsi estimé que les mesures adoptées face au choc énergétique seraient d’un montant un peu supérieur à 4 points de PIB en France en 2022 et 2023, quand elles seraient d’un peu plus de 2 points de PIB en Allemagne et d’environ 1 point en Espagne. Le FMI estime aussi que 0,7 point de PIB aurait suffit en France pour protéger les ménages aux plus faibles revenus, à savoir les ménages compris dans les quatre premiers déciles de revenus. En optant pour des mesures principalement non ciblées sur les plus pauvres, les politiques d’atténuation du choc énergétique ont pu contribuer au renforcement de l'effort d’épargne, dont il est toutefois trop tôt pour affirmer qu’il a été principalement le fait des ménages les plus aisés.
Un paradoxe demeure, la consommation en volume ayant baissé plus fortement en France alors même que la hausse des prix y était plus faible qu’en zone euro.
Denis Ferrand, Chronique pour Les Echos, parue le 31 octobre 2023
Edito de Denis Ferrand: la frugalité des ménages en France
BFM Business, Good morning business, 30 octobre 2023
Emission animée par Laure Closier et Erwan Morice