De dissolution en censure, les rebondissements politiques de l'année 2024 laissent la France sans Budget 2025 et sans remède face à la dégradation continue de ses finances publiques. L'exemple du Portugal, sorti avec succès d'une grave crise de la dette, montre qu'il est possible de trouver une voie de redressement des comptes publics, à condition de l'associer à une stratégie économique de moyen terme. L'impératif de construire cette voie dès à présent plutôt que de subir une crise est une autre leçon de l'expérience portugaise.

Janvier 2025, rien de nouveau. Pas de budget, pas de diagnostic partagé sur la situation des finances publiques, et aucun remède en vue. Ce refus répété devant l’obstacle peut pourtant être dépassé en associant la nécessaire consolidation budgétaire à une stratégie économique de moyen terme. C’est la principale leçon à tirer de l’exemple paroxystique du Portugal.

L'année 2010 et les suivantes ont été particulièrement difficiles pour l'économie portugaise qui a vu s'enchainer crise de la dette, plan de sauvetage, et présence de la "troïka" (BCE, FMI et Commission européenne) jusqu’en 2014. Depuis, le tableau économique et financier s’est largement éclairci. Le Portugal a connu en 2024 une deuxième année consécutive d’excédents budgétaires. En l’espace de dix ans, le poids de sa dette publique a reflué de plus de trente points de PIB. Le taux d’intérêt payé sur les titres de l’État portugais à 10 ans dépassait de 1000 points de base celui de leurs équivalents français en 2011. Il leur est désormais inférieur de 35 points.

La croissance économique du Portugal cumulée depuis l’avant crise est comparable à celle de la France, la violente baisse de 5% du PIB intervenue de 2010 à 2013 ayant laissé place à un fort rebond. En conséquence, l’écart des PIB par habitant entre nos deux pays s'est réduit. En 2024, le taux de chômage portugais est inférieur de 2 points à celui de 2010. Le solde courant qui accusait un déficit de 10 points de PIB, miroir de celui des comptes publics, est désormais excédentaire.

Les mesures prises dans l’urgence à partir de 2010 ont été à la fois lucides et courageuses: privatisations de l’équivalent de l’EDF portugais (Energias de Portugal), du gestionnaire d’aéroports, et de banques publiques ; augmentation de de la TVA (+ deux points) et du taux de l’impôt sur le revenu (IR) ; non-remplacement des départs à la retraite et licenciements dans la fonction publique ; blocage des revalorisations salariales et suppression des 13e et 14e mois pour les fonctionnaires. A partir de 2015, ces mesures ont été complétées par de nouvelles taxes sur les produits et le patrimoine immobilier des plus fortunés ainsi que par des mesures de soutien à la demande, notamment en faveur des plus modestes.

La stratégie financière et économique du Portugal a concerné l’ensemble des acteurs économiques, en privilégiant à la fois la croissance et le redressement des comptes publics. L’un ne peut aller sans l’autre.

Surtout, la politique de restauration des comptes publics s’est doublée d’une stratégie économique d’attractivité des revenus de l’étranger (accueil de retraités étrangers, délivrance de passeports, développement des activités économiques présentielles et de services). Cette stratégie misait sur les avantages comparatifs du pays en termes résidentiels.

Les résultats de cette stratégie s’observent à la lecture du compte courant: le déficit sur les échanges de biens perdure à hauteur de 10 points de PIB, mais les échanges de services dégagent un excédent d’un montant équivalent. La structure de l’emploi s’est recomposée avec une forte baisse de l’emploi dans le secteur agricole et celui de la construction, plus que compensée par la progression dans l’hôtellerie-restauration, le commerce, les activités de services aux entreprises et … dans les services publics. Un revers de la médaille est l’envolée des prix de l’immobilier, lesquels ont plus que doublé par rapport à 2010.

Ce qui frappe, c’est la stratégie à la fois financière et économique conduite par le Portugal, au gré de laquelle des mesures concernant l’ensemble des acteurs économiques ont été adoptées, en privilégiant à la fois la croissance et le redressement des comptes publics. L’un ne peut aller sans l’autre.

Ce chemin équilibré reste à construire en France en 2025. L’emprunter sans tarder serait probablement le meilleur moyen d'éviter de subir une phase de crise aigüe du type de celle endurée par le Portugal. Une crise qui a notamment eu pour conséquence durable une baisse de 11% de la population des 15-49 ans depuis 2011, sous l’effet notamment de l’émigration des portugais les plus jeunes.  "Procrastination n'est pas raison" est une autre leçon portugaise.

Denis Ferrand

> Chronique paru  le 5 janvier 2024 dans Les Echos sous le titre "Les leçons économiques portugaises"