La crise énergétique affecte avant tout l'Europe, loin devant les autres régions du monde. Si l'ampleur du choc est encore incertaine, on peut en suivre les ramifications et donner quelques ordres de grandeur. La hausse des prix à l’importation et à la production exerce d'abord un prélèvement massif sur l'économie, comparable en France à celui du choc pétrolier de 1979. Ensuite, elle dégrade la compétitivité-prix, et la rentabilité des entreprises. L'absence de réponse coordonnée entre Etats membres, risque quant à elle d'accentuer les divergences au sein de l'UE. Ce choc affaiblit donc l'économie européenne au moment où elle doit investir massivement dans la transition énergétique.

La crise énergétique que connaît l’Europe depuis plus d’un an exerce un choc sur l’économie d’une magnitude encore très incertaine mais pour laquelle quelques ordres de grandeur peuvent être donnés. Ce choc se propage selon cinq principaux axes :

1. Le renchérissement des importations énergétiques exerce un prélèvement massif sur l’économie

Ce prélèvement passe par la hausse des prix à l’importation et à la production. Il est actuellement de 4 points de PIB en moins en France. Ce prélèvement est comparable à celui intervenu en 1979 au lendemain du second choc pétrolier. Il se répartit ensuite entre agents économiques : ménages, entreprises, administrations publiques.

2. Le choc sur les prix du gaz frappe surtout l’Europe, dégradant sa compétitivité

Contrairement au choc pétrolier qui avec renchérit le prix du pétrole relativement uniformément dans le monde, le choc gazier concerne une énergie dont le prix est régional et affecte surtout l’Europe. Par rapport à son prix moyen de 2019, en septembre 2022 le prix de marché du gaz a été multiplié par 14 en Europe, par 8 en Asie pour le GNL et par 3 aux Etats-Unis. Le prix du gaz était deux fois plus élevé en Europe qu’aux Etats-Unis en 2019. Il l’est désormais sept fois plus. Un handicap majeur et nouveau de compétitivité est apparu face auquel la dépréciation récente de l’euro contre le dollar pèse peu.

3. La facture énergétique dégrade la rentabilité des entreprises les plus consommatrices

La hausse du prix de l’énergie a déjà été suffisante pour que, toutes choses égales par ailleurs, certains secteurs comme la filière papier, voient leur résultat d’exploitation en 2022 passer de positif à négatif.

Pour les industriels, la situation ne devrait pas s’arranger en 2023, car les prix qui étaient en 2022 pour l’essentiel déterminés par des contrats antérieurs à l’envolée des prix de marché, le seront alors sur la base des prix élevés de 2022, ou anticipés durablement élevés. Or, par le passé les chocs de prix de l’énergie ont été suivis d'une baisse de rentabilité des entreprises en France, illustrée par le recul de la marge d’exploitation relativement à la valeur de la production.

4. Le défaut de coordination des politiques d’atténuation du choc creuse les écarts entre pays

Si les mesures d’embargo sont européennes, les politiques d’atténuation du choc sont nationales, au risque d’introduire des biais de concurrence entre pays, même en tenant compte des différences dans leurs mix énergétiques.

L’introduction précoce d’un bouclier tarifaire et de rabais importants sur le prix de l’essence, a limité le prélèvement sur le pouvoir d’achat ménages à 445 € par habitant en 2022 en France par rapport à 2021, soit 1,9% du revenu des ménages. C’est moins que la moyenne européenne (674€/habitant, 3,2% du revenu) et sans commune mesure avec l’Estonie (1247€/habitant, 10,6 % du revenu). Les évolutions relatives de salaire pourraient s’en ressentir, comme celles des déficits publics. De même, la plupart des pays européens n’auront probablement pas les moyens de rivaliser avec le plan de soutien qu’a adopté l’Allemagne en faveur de ses entreprises.

5. Cette crise renforce l'urgence d'investir massivement dans la transition énergétique

Rexecode a estimé que, pour s’installer sur la trajectoire de la neutralité carbone en France, des investissements additionnels de l’ordre de 58 à 80 milliards d’euros par an d’ici 2030 seront à effectuer en plus des efforts annuels "habituels", soit un accroissement d’environ 20% de l’investissement par les ménages et d’environ 13% pour celui des entreprises. Une mobilisation accrue des acteurs notamment sur le plan du financement sera incontournable pour atteindre un objectif aussi ambitieux dans ce contexte.

Chronique de Denis Ferrand pour Les Echos

Crise énergétique ce n'est que le début, Les Echos, 10 octobre 2022