Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
L’examen des phases de récession et de récupération passées montre que l’investissement des entreprises et l’emploi salarié connaissent toujours un recul plus marqué que celui du PIB. De ce point de vue, la récession "Covid" confirme son caractère atypique: l’investissement et l’emploi dépassent désormais de 3,5 et 4,3% leur niveau de la fin 2019, le PIB de seulement 0,9%. Pour autant, alors que l'arrivée à échéance d'une majorité des prêts garantis par l'Etat et la hausse des coûts fragilisent les trésoreries, la poursuite d'une forte progression de l’investissement et de l’emploi semble peu probable.
Des liquidités et des effectifs préservés durant la crise
En temps ordinaires, quand elles sont confrontées à une récession, les entreprises réduisent rapidement la voilure au moyen d’une maîtrise des dépenses qu’elles peuvent le plus rapidement arbitrer, à savoir les embauches et l’investissement. Elles le font ne serait-ce que pour préserver un volant de trésorerie suffisant pour faire face à leurs coûts fixes.
Cette contrainte de liquidité ne s’est pas exercée lors de l’épisode récessif récent. Les entreprises ont au contraire accru leur détention de cash à l’actif mais à grand renfort de PGE (prêts garantis par l'Etat) et d’accès au crédit au niveau de leur passif. Ce faisant, elles ont maintenu, voire amplifié, leurs projets d’investissement. Elles ont également pu conserver leurs effectifs, déjà recrutés difficilement avant la récession, surtout aussi parce que les dispositifs d’activité partielle ont permis de lisser le choc d’activité. La question qui se pose désormais est de savoir si ce comportement de rétention de main d’œuvre et de préservation des choix d’investissement résistera à la fragilisation des trésoreries.
Hausses de coûts et échéances de remboursement fragilisent les trésoreries
Les différés d’amortissement des PGE, qui étaient au maximum de deux ans, sont désormais arrivés à terme pour leur grande majorité. Face aux difficultés d’approvisionnement, les entreprises avaient également réduit au maximum leur niveau de stocks. Ces difficultés, autres que celles liées directement à l’énergie, s’étant relâchées, ces stocks ont pu être reconstitués mais dans des conditions de coût élevées. La hausse des prix des consommations intermédiaires n’a pas été intégralement répercutée dans les prix de vente, loin s’en faut, pour les branches de l’industrie manufacturière (hors énergie), des services marchands (hors services de transport maritime), et de la construction.
Ces trois mouvements contribuent au même résultat, celui d’une fragilisation progressive de la situation de trésorerie des entreprises, une fragilisation notamment relevée par les enquêtes de conjoncture de la Banque de France ou celles menées par Rexecode avec l’AFTE et Bpifrance auprès des entreprises. Alors que les inquiétudes sur le coût et l’accès même à l’énergie s’accentuent, les entreprises font face à un dilemme entre la nécessaire accélération de leur transformation face à de nouvelles contraintes de production et la préservation de trésorerie à même de les immuniser contre un risque de défaut de paiement.
L’incomplète répercussion des prix des approvisionnements dans les prix de vente aboutit aussi à ce que, dans les trois branches précédemment citées, les résultats d’exploitation, rapportés à la valeur de la production, sont retombés à leur plus bas niveau, relevé au début des années 1980 au lendemain du second choc pétrolier. Cette observation vient rappeler que les marges des entreprises ne sortent jamais indemnes d’un choc des prix sur les approvisionnements, en énergie en particulier.
Chronique de Denis Ferrand parue dans Les Echos du 12 septembre 2022