Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
Face à l'inflation, les ménages français vont-ils consommer davantage en anticipation des hausses futures de prix et puiser dans leurs réserves, notamment dans l'abondant surplus d'épargne accumulé durant la crise sanitaire ? Ou bien au contraire, vont-ils conserver voire renforcer cette épargne pour se prémunir d'une chute de leur pouvoir d'achat et de la valeur de leur épargne ? Le choix entre ces deux hypothèses forge une bonne partie de la prévision de croissance pour 2023 et 2024. Rexecode privilégie la seconde, Denis Ferrand nous explique pourquoi.
Les écarts de prévision sont courants entre prévisionnistes. Ils tiennent actuellement à des appréhensions différentes du choc énergétique et de sa propagation dans le tissu économique. Ils s'expliquent aussi par des choix divergents quant à l'évolution de comportements d'acteurs économiques. Ces écarts de prévision peuvent être d'autant plus accentués que la période actuelle recèle de nombreuses originalités pour lesquelles aucun précédent historique ne peut être mobilisé pour servir de guide.
L'une des principales interrogations concerne le comportement des ménages face à la formation d'une épargne abondante durant le Covid. La dépense de cette "surépargne" soutiendra le niveau de la demande, et par ricochet de la production. A l'inverse, son maintien dans les actifs financiers des ménages pourrait certes occasionner un surcroît d'investissement, mais cette stimulation de la demande finale sera plus indirecte. Le choix que fait un prévisionniste d'emprunter l'un ou l'autre scenario va fortement influencer ses anticipations de croissance. Ce choix est surtout conditionné par le contexte inflationniste.
Soit le prévisionniste retient que les ménages adopteront un comportement de fuite devant la monnaie et dépenseront rapidement la surépargne accumulée afin d'éviter de payer plus cher demain un bien qu'ils peuvent acquérir aujourd'hui à moindre coût. Dans un tel cas, la demande sera stimulée.
Soit il fait l'hypothèse contraire: constatant une érosion de la valeur réelle de leur patrimoine, qui n'est pas autre chose que leur pouvoir d'achat futur, les ménages augmenteront leur effort d'épargne. Un tel choix déprimera le niveau de la dépense.
De ce choix dépend une bonne partie de la prévision de croissance formulée pour 2023 et 2024 au regard de l'ampleur de la surépargne formée pendant les confinements, au bas mot 170 milliards d'euros, soit 11% du revenu annuel des ménages.
Comme on demande in fine à un prévisionniste de s'engager, le choix que nous privilégions à Rexecode est l'hypothèse de comportement pigouvien des ménages: ils renforceront leur effort d'épargne en présence d'inflation. Plusieurs points motivent ce choix. Tout d'abord, l'inflation émane encore pour l'instant en grande partie des prix de biens difficiles à stocker tels que l'alimentation ou l'énergie et, interrogés par l'Insee, les ménages répondent qu'ils voient peu d'opportunités à faire des achats importants.
Ensuite, le passage de l'inflation a déjà érodé la valeur réelle de la surépargne et a effacé celle des ménages les plus modestes situés dans les premiers déciles de niveau de vie. Le Conseil d'Analyse Economique note ainsi que les ménages situés au décile médian maintenaient depuis le début de l'année un stock d'épargne équivalent à celui d'une tendance pré-Covid.
• Une perte de valeur du patrimoine financier
En revanche, la surépargne perdure dans le cas des ménages situés dans les plus hauts déciles de niveaux de vie: le stock d'épargne dans leur cas étant supérieur de 10% à celui de la tendance pré-Covid. Mais ces ménages constatent aussi une perte de la valeur de leur patrimoine financier, notamment placé en obligations. La valeur d'un titre d'Etat à dix ans a perdu près de 15% depuis le début de l'année du fait de la remontée des taux.
Cette baisse de la valeur patrimoniale est propice à un maintien à un niveau élevé de l'épargne chaque fois que les ménages en ont la possibilité. Dans ces conditions, une réinjection de la surépargne résiduelle dans le circuit économique, autrement que pour maintenir leur niveau de dépense face à la hausse des prix, nous paraît improbable. La dépense des ménages évoluera alors au plus comme le pouvoir d'achat de leur revenu qui se trouve lui-même érodé.
Chronique de Denis Ferrand parue dans Les Echos du 9 décembre 2022
sou le titre : D'où viennent les écarts de prévision de croissance?