Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
Le plan de relance veut favoriser l'emploi des jeunes, ces derniers étant les plus exposés aux dégradations de la conjoncture. Mais cette mesure d'urgence ne peut occulter le défi structurel de l'emploi des seniors et des moins qualifiés en France. En 20 ans, que la conjoncture ait été bonne ou mauvaise, la durée moyenne d'inscription au chômage des moins de 25 ans est restée assez stable autour de 150 jours, celle des 50-64 ans a atteint 610 jours en 2019. En 15 ans, le taux d'emploi des 20-64 ans ayant le niveau de formation initiale le plus faible a reculé de 6 points.
Favoriser l'insertion des jeunes dans l'emploi sera un des axes du plan de relance. Des mesures d'incitation à l'embauche des jeunes apparaissent légitimes au regard du contexte particulièrement difficile pour les nouveaux entrants sur le marché du travail. Toutefois, favoriser une catégorie sur le marché du travail peut revenir à la faire avancer d'un rang dans ce qui ressemblerait à une file d'attente pour accéder à l'emploi… au risque d'en faire reculer une autre si les conditions d'ensemble de l'accès à l'emploi sont inchangées.
Les jeunes sont surexposés aux retournements conjoncturels,
mais des phénomènes de rattrapage s'opèrent dès que la situation économique s'améliore
En cas de dégradation de la situation économique, le taux de chômage des jeunes augmente plus rapidement que celui des actifs ayant plus d'ancienneté sur le marché du travail, comme l'ont notamment montré des travaux du Cereq. Les jeunes deviennent une variable d'ajustement de l'emploi dont l'accès leur est plus difficile en situation économique dégradée.
En phase de reprise, le taux d'emploi de jeunes sortis sur le marché du travail en période de difficultés économiques converge assez rapidement vers celui de générations qui ont été mieux loties. Le phénomène de l'augmentation du chômage des jeunes ressemblerait ainsi à une crise aiguë quand, à l'inverse, le chômage des seniors relève plus de l'affection de longue durée. Au cours des vingt dernières années, que la conjoncture ait été bonne ou mauvaise, la durée moyenne d'inscription à Pôle emploi des moins de 25 ans est ainsi restée relativement stable autour de 150 jours alors que celle des personnes âgées de 50 à 64 ans est désormais plus de quatre fois plus longue (610 jours en 2019).
Il existe cependant un risque réel de déclassement des jeunes qualifiés
Sortir relativement vite du piège du chômage donne toutefois peu d'indications quant à la qualité de l'insertion des jeunes dans l'emploi. C'est alors le risque du déclassement qui pointe avec ses conséquences probablement plus durables pour leurs trajectoires professionnelles. Ce phénomène tend à s'enraciner. Il s'accentue aussi en période de basse conjoncture, les jeunes qualifiés pouvant se tourner vers des emplois "déclassés" mais pour lesquels leur diplôme leur confère un avantage par rapport à la majorité des candidats.
La comparaison de la situation de la génération entrée sur le marché du travail en 2010, alors que l'impact de la crise de 2008-2009 sévissait encore, à celle de la génération 1998 montre que l'expérience initiale des jeunes sur le marché du travail est devenue moins rémunératrice. Les évolutions ascendantes de carrière se sont faites également plus rares pour les diplômés de la génération 2010, ce qui s'observe par un accès plus lent et moins fréquent aux postes de cadres par rapport à la génération 1998.
En bout de chaîne, l'insertion dans l'emploi des moins qualifiés se dégrade
Se pose alors la question de la réaction en chaîne. Si l'ensemble de l'échelle des qualifications vient à voir s'accentuer les phénomènes de déclassement, c'est au final les conditions de l'insertion des moins qualifiés qui se trouvent aggravées. C'est précisément l'un des points sur lesquels le fonctionnement du marché du travail est le plus déficient en France. En l'espace de quinze ans, la France a vu reculer de 6 points son taux d'emploi des personnes âgées de 20 à 64 ans ayant le niveau de formation initiale le plus faible. Il était le plus élevé des quatre principaux pays de la zone euro en 2005, il est devenu le plus faible en 2019 avec seulement 52% de cette catégorie de population qui se retrouvait en emploi.
Les réponses à ce défi renvoient notamment à une politique de formation professionnelle, une recette de plus longue haleine que des mesures rapides sur une population jeune dont l'entrée en emploi est plus retardée qu'empêchée durablement. Le traitement de la situation d'urgence que rencontre la population jeune ne peut ainsi occulter la nécessaire réponse à apporter aux défis durables que sont ceux de l'insertion dans l'emploi des plus âgés et des moins qualifiés.
par Denis Ferrand est directeur général de Rexecode
Opinion - Marché du travail : quelles pathologies traiter en priorité ?
à lire dans Les Echos du 31/08/2020