La productivité du travail a baissé de 5 points en France depuis 2019 et s'est fortement écartée de sa trajectoire légèrement ascendante d'avant crise. Cette perte, qui a pesé sur le salaire réel moyen, s'explique largement par des effets de composition, notamment par l'intégration dans l'emploi de profils peu qualifiés ou peu expérimentés. Le restant peut s'expliquer par des contraintes temporaires de production, mais aussi par des facteurs potentiellement plus pérennes qui pourraient brider durablement le pouvoir d'achat

La productivité horaire des salariés des secteurs marchands non agricoles a baissé de 5 points, entre son niveau moyen de 2019 et celui mesuré au deuxième trimestre de 2023. Mais la perte serait beaucoup plus importante en prenant pour référence la tendance croissante que suivait la productivité avant 2019. Une grande partie de cette perte s’explique par des effets de composition de la main d’œuvre, dans un contexte de fortes créations d’emplois (+1,2 million en quatre ans). Une perte résiduelle subsiste, elle est significative, et pourrait peser durablement sur le pouvoir d’achat des Français. Cette situation invite à des politiques plus incitatrices à la mobilité dans l’emploi et à l’accumulation de capital humain.

La faible progression des salaires réels depuis 2019 s’explique par la baisse de la productivité

Les salaires moyens par tête dans les branches marchandes non agricoles augmentent désormais au même rythme que l’inflation. Ils devraient même la dépasser en 2024. Mais par rapport à 2019, le niveau moyen des salaires a crû moins vite que l’inflation.

Il résulte de cet écart une perte de pouvoir d’achat de l’ordre de 2,5 points qui reflète en premier lieu une baisse de la productivité moyenne par heure travaillée (-4,9%). Celle-ci a été atténuée par la hausse de la part des salaires dans la valeur ajoutée.

L'intégration récente de profils peu qualifiés ou peu expérimentés dans l'emploi

L’évolution moyenne des salaires comme de la productivité résulte pour partie des changements dans la structure de la main d’œuvre entre secteurs et profils de productivité des salariés. Ces effets de composition peuvent expliquer une large partie de la perte de la productivité depuis 2019.

- Les embauches d’apprentis, qui représentent un tiers des emplois créés, expliqueraient 2 points de perte de productivité.

- Hors apprentis, la composition de la croissance de l’emploi, qui s’est faite principalement dans les secteurs plus intensifs en main d’œuvre et avec des profils moins productifs, car moins expérimentés ou moins qualifiés, pourrait expliquer 2 points supplémentaires.

Cet enrichissement de la croissance en emploi, s’il freine les valeurs moyennes de la productivité et des salaires, s’accompagne en fait d’une amélioration des situations individuelles des salariés, en particulier pour les bénéficiaires des nouveaux emplois.

La productivité s'est écartée de sa trajectoire de croissance d'avant-crise et les effets de composition n'expliquent pas tout

La baisse de la productivité depuis 2019 peut aussi se lire à l’aune de sa trajectoire croissante d’avant-crise. Cette tendance n’est pas directement observable: on peut l’estimer autour de +1% par an en faisant des hypothèses sur les effets des politiques de l’emploi avant 2019.

L’écart de la productivité à sa tendance avant-crise pourrait se situer entre 8 et 9 points. Sur ce total, les effets de composition de la main d’œuvre et d’enrichissement de la croissance en emploi pourraient expliquer, sous des hypothèses maximalistes, jusqu’à 5 points. Reste donc une perte résiduelle de productivité, de l’ordre de 3 à 4 points depuis 2019.

D'autres facteurs pourraient freiner durablement la productivité en France

Pour l’expliquer, on peut penser à des facteurs temporaires, comme les effets des difficultés d’approvisionnement ou encore les problèmes rencontrés par EDF dans la production d’électricité.

Il y a aussi des facteurs potentiellement plus pérennes comme la transformation de certaines activités en lien avec la transition écologique (secteur de la construction en particulier ainsi que de l’automobile), le développement de l’absentéisme, la hausse des prix énergétiques, la crise immobilière, la réorganisation des échanges mondiaux …etc. Ces pertes pérennes vont peser sur le niveau de vie des français et sur les comptes publics.

Tout en poursuivant une politique favorable à l’emploi, il devient tout autant important de favoriser la restauration de gains de productivité à moyen terme. Cela peut passer par plus de mobilité professionnelle, une structure de prélèvements sociaux et fiscaux plus incitative pour l’accumulation de compétences, et la poursuite d’une politique d’attractivité favorable à l’investissement.

 

Tribune d'Olivier Redoulès parue dans Les Echos du 8 novembre 2023