Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
La tarification des émissions de gaz à effet de serre ou "taxe carbone" est un outil efficace de lutte contre le changement climatique. L’Union européenne vient d'adopter plusieurs textes qui en renforce le rôle, tout en cherchant à préserver la compétitivité européenne. Si la cible parait bonne, la mise en œuvre pose question. Le système de permis gratuits qui permet de compenser la distorsion de concurrence entre les entreprises européennes et leurs concurrentes hors UE, dont les émissions sont moins, voire pas taxées, doit disparaitre progressivement au profit d'un nouveau "mécanisme d'ajustement carbone aux frontières". Or ce MACF présente des défauts de conception importants, porteurs de risques pour l’industrie européenne.
L’Europe vient d’adopter plusieurs textes qui renforcent le rôle dévolu au "prix du CO2" dans la lutte pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). En entrainant une hausse du coût d’utilisation des énergies fossiles, ce prix est une incitation économique puissante à la décarbonation. Il oriente les décisions d’investissement des industriels et favorise l’émergence de nouvelles technologies à travers leurs choix de R&D.
La tarification du carbone conduit à relever la facture pour les entreprises européennes relativement à leurs principaux concurrents hors d’Europe et ce d’autant que le prix du permis d’émission d’une tonne de CO2 est d’environ 80 euros pour les industriels européens contre 8 euros en Chine. De plus, près de 80% des émissions mondiales ne sont couvertes par aucun système de tarification du carbone.
Un système de compensation permet de contrer cet effet en Europe mais il sera progressivement remplacé par un nouveau mécanisme dit d’ajustement carbone à la frontière (MACF) de l’UE. Cette idée est portée de longue date par la France. Dès 2006, Dominique de Villepin proposait déjà une telle taxe. C’est finalement sous l’impulsion d’Emmanuel Macron et à la faveur du Green Deal européen et de la présidence française de l’UE qu’un texte a été formalisé en vue d’un dispositif qui s’appliquera formellement à partir de 2026.
L’architecture de ce nouveau système MACF fait peser de nouvelles menaces sur la compétitivité de l’industrie européenne. Plusieurs problèmes se posent :
1/ La couverture des importations est très limitée : 1% des importations en valeur de la France seront finalement concernées, à savoir les importations extra-européennes d’acier, d’aluminium, de ciment et de quelques familles de produits chimiques. En revanche, la suppression des compensations préexistantes aura quant à elle des effets bien plus généralisés pour un coût en France de l’ordre de 2 à 3 milliards d’euros par an. Les coûts de production en Europe vont mécaniquement augmenter.
2/ Les industries consommatrices des produits concernés par le MACF ne seront pas protégées à la frontière, contrairement aux industries qui produisent les bien concernés ailleurs, faisant craindre un déplacement du choc de compétitivité depuis l’amont vers l’aval, voire des délocalisations.
3/ Aucun mécanisme n’est prévu pour gommer le différentiel de compétitivité à l’export, pour les produits européens vendus à l’étranger. Ce que nous gagnons potentiellement en Europe, nous risquons de le perdre en dehors de nos frontières.
4/ Le système fera peser des lourdeurs administratives coûteuses sur les entreprises européennes.
Dans le cas de la France, le choc de coût pour la seule industrie serait à terme comparable, mais de sens opposé, à la baisse programmée de la CVAE. Ainsi, cette réforme viendrait annuler les effets attendus de la baisse de la CVAE en termes de renforcement de la compétitivité.
Ces menaces se font d’autant plus fortes que le différentiel de prix de l’énergie entre l’UE et le reste du monde s’est creusé en défaveur de la première, et que les économies concurrentes de l’Europe lancent, de leur côté, des stratégies offensives de soutien d’une offre domestique d’industrie décarbonée plutôt qu’en pénalisant la concurrence étrangère.
Espérons que la période test du MACF, qui s’étendra d’octobre 2023 à fin 2025, permettra de recueillir suffisamment d’informations pour corriger l’architecture de ce mécanisme déjà bien ancré dans le paysage européen, puisqu’il est prévu qu’il participe au financement du plan de relance NextGenerationEU.
Chronique de Denis Ferrand et Raphael Trotignon parue dans Les Echos du 19 juin 2023 sous le titre Taxe carbone aux frontières : de bonnes intentions, une exécution douteuse