Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
L’Union européenne vient d’adopter trois textes qui renforcent fortement le rôle dévolu au "prix du CO2" en Europe, c’est-à-dire qui rendent payantes, pour les acteurs concernés, les émissions de gaz à effet de serre. Cette incitation économique puissante à la décarbonation a pour revers un alourdissement de la facture pour les entreprises produisant en Europe. Or, le nouveau mécanisme d'ajustement carbone à la frontière (MACF) qui remplacera progressivement le système d'attribution de permis gratuits, présente des lacunes majeures qui pourraient menacer la compétitivité de l’industrie européenne et française.
Le Parlement européen a validé le 18 avril 2023 trois textes qui renforcent fortement le rôle dévolu au "prix du CO2" en Europe afin de répondre aux nouvelles ambitions de l'Union européenne en matière de lutte contre le changement climatique.
La taxation du carbone fait monter le coût des usages et procédés de production utilisant des énergies fossiles relativement aux solutions décarbonées. C’est aussi un instrument d’optimisation des coûts de la décarbonation de l’Europe et une source de redistribution de l’effort de réduction entre acteurs et entre pays européens. En effet, donner un coût explicite aux émissions de CO2 incite à réduire les émissions d’abord là où les coûts de la décarbonation sont les plus faibles.
Mais, lorsque le prix du carbone ne s'applique qu'à une seule zone de production, il défavorise les entreprises locales exposées à la concurrence internationale. En l'occurrence, la facture augmente pour les entreprises européennes, mais pas pour leurs principaux concurrents hors d’Europe, faisant craindre l’apparition de "fuites de carbone", synonymes de délocalisations et d'augmentation des émissions mondiales de CO2.
Jusqu’à présent des mécanismes d'attribution de permis d'émissions gratuits permettaient de compenser cet effet négatif sur la compétitivité pour les entreprises européennes exposées à la concurrence internationale. Plutôt généreuses à l'origine, ces allocations de quotas gratuits ont suivi la tendance à la baisse du plafond total de permis et sont devenues inférieures aux émissions pour la première fois en 2021.
Ces dispositifs seront progressivement remplacés par un nouveau système dit d’"ajustement carbone à la frontière" (MACF ou CBAM, en anglais) qui prévoit que les importateurs s'acquittent d'un prix du carbone fondé sur le contenu en carbone des produits importés. Etant donné la complexité d'un tel calcul, le MACF européen se concentre sur un nombre limité de produits peu transformés. Seuls 571 codes-produits sont concernés sur les 10.000 de la nomenclature douanière.
S'agissant de la France, la valeur des produits importés concernés par le MACF est de 7 milliards d'euros, soit 1,2% de la valeur totale des importations de l'année 2019. Un peu plus de 5 milliards correspondent à des métaux et ouvrages en métal.
Les importations en France de produits sur la liste du MACF représentent un peu moins de 9% de la valeur des importations de produits des trois familles concernées depuis l’extérieur de l’Europe, et 1,2% du total de la valeur des importations.
Si le champ d’application du MACF paraît limité, le choc de coût de la suppression des permis gratuits sera bien plus généralisé. A terme, si tous les permis aujourd’hui alloués gratuitement étaient vendus aux enchères, cela représenterait au prix du CO2 actuel une dégradation des comptes d’exploitation des entreprises de l’ordre de 45 milliards d’euros par an au niveau européen, et 4 milliards d’euros en France.
Leur remplacement par le MACF va étendre le choc de coût à l’ensemble de la production domestique des secteurs concernés. Les entreprises européennes utilisant les produits concernés comme consommation intermédiaire paieront le prix du carbone importé et ce surcoût se répercutera cascade, tandis que les produits transformés à partir des mêmes produits hors d'Europe ne supporteront pas cette taxe carbone.
Si l’intention de protéger l’Europe face à une concurrence déloyale néfaste pour l’industrie et le climat est louable, l’architecture du nouveau système d'ajustement carbone à la frontière menace la compétitivité de l'industrie européenne au moment où la plupart des pays de l'UE, dont la France, affichent des projets de "réindustrialisation verte", et où leurs grands concurrents, les Etats-Unis et la Chine, adoptent des stratégies très offensives.
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