Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
Les interventions massives des banques centrales pour faire face à la crise du coronavirus pourraient sonner le glas de la théorie monétariste, une résurgence immédiate de l’inflation semblant improbable au vue des fortes pressions qu'exerce sur les prix la baisse d'activité. La poussée des prix alimentaires constitue une exception probablement temporaire. Cependant, d'autres facteurs issus de la crise, telles que de nouvelles règles sanitaires ou des relocalisations de production pourraient contribuer à une hausse durable des prix.
"L’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire: elle ne peut être générée que par une augmentation de la quantité de monnaie plus rapide que celle de la production". Ce principe énoncé en 1970 par M. Friedman a contribué à orienter plusieurs décennies durant les décisions des banques centrales dans le monde. Il a déjà été mis à mal lors des dix dernières années marquées par un gonflement sans précédent de la taille des bilans des banques centrales mais sans répercussion sur la dérive des prix des biens et services. Le nouvel épisode d’interventions des autorités monétaires aux limites à nouveau repoussées viendra-t-il sonner le glas de la théorie monétariste?
La résurgence immédiate de l’inflation semble improbable
A court terme, face à une activité effondrée à l’échelle globale comme locale, nombre d’entreprises sont réduites à des ventes de détresse à des niveaux de prix effondrés, du moins quand les ventes sont encore possibles. La contraction de l’activité a précipité les cours mondiaux de nombreuses matières premières aux abysses, le pétrole en premier. Certains cours comme celui de l’aluminium n’a jamais été aussi bas, en termes réels, depuis plus de soixante ans. Cette orientation nourrit une boucle dépressive de contraction du niveau de l’offre qui à son tour pourrait venir contraindre celui de la demande. Des prémisses d’un tel scénario se voient déjà dans le recul du niveau général des prix à la consommation que ce soit aux Etats-Unis ou en zone euro. C’est bien une pression forte sur les prix qui s’exerce à court terme.
Toutefois, en même temps que l’indice de l’ensemble des prix recule, la dispersion des évolutions de ses composantes monte en flèche. L’effondrement des prix de l’énergie a pour pendant l’accélération soudaine des prix des produits alimentaires. Particulièrement sensibles à ces derniers, les ménages ne s’y trompent pas, eux dont les anticipations d’évolution des prix à un an se sont tendues aux Etats-Unis. Il en va de même en zone euro et plus particulièrement en France. Et, comme le note A. Delaigue "même quand les prix des produits alimentaires n'augmentent pas, ce sont les produits premier prix qui disparaissent en premier, obligeant les consommateurs à se rabattre sur des produits plus chers. Si les prix affichés ne changent pas, les pénuries font que le ticket de caisse, lui, augmente".
Au delà du confinement, d'autres facteurs pour entrainer une hausse durable des prix
SI une tension s’est formée sur les prix des produits alimentaires, c’est avant tout parce que les canaux de distribution ont été perturbés pendant le confinement. Celui-ci levé, ces canaux se rétabliront-ils ? C’est probable même si un certain délai sera sans doute nécessaire. Surtout ce sont d’autres formes de chocs de coût qui apparaissent au fur et à mesure du redémarrage de l’activité. Les nouveaux modes de production respectant les règles sanitaires sont déjà source d’un surcoût évalué entre 10 et 15% dans le secteur de la construction par exemple. La répercussion de ce surcoût dans les prix est probable à moins d’imaginer une accélération des gains de productivité. Celle-ci est bien incertaine en raison de la forte contraction de l’investissement qui se dessine. Si elles s’opèrent effectivement, les relocalisations de production pourraient également installer un autre germe de hausse de prix. Ajoutons au tableau que la détermination à lutter contre un éventuel retour de l’inflation pourrait s’amoindrir, celle-ci ayant pour vertu d’alléger le fardeau du remboursement d’une dette dépréciée par la perte de valeur de la monnaie associée aux hausses de prix.
Des hausses de prix un peu plus fortes durablement pourraient bien s’installer sans que cela signifie pour autant le retour au premier plan de la théorie monétariste. Elles rappelleront surtout que c’est aussi dans les conditions de la production que se forgent les trajectoires durables d’évolution des prix.
Denis Ferrand
Chronique parue dans Les Echos du mardi 19 mai 2020