Au sein des grands pays de la zone euro, la France se distingue par le niveau élevé et la forte progressivité des prélèvements sur les rémunérations au delà de 1,4 SMIC. Cette surfiscalité pénalise l’économie française. Elle augmente les coûts des secteurs employant essentiellement des travailleurs qualifiés comme ceux représentés par la Fédération Syntec et ces surcoûts affectent leurs clients dans l’ensemble de l’économie. Elle réduit l’offre de travail qualifié en rendant sa rémunération moins attractive pour les salariés.

Un large consensus d’économistes plaide en faveur de la suppression des allègements des cotisations patronales au-delà de 1,6 SMIC, et donc d’une hausse du coût du travail au-dessus de ce niveau de salaires. Mais c'est minorer l'impact que peuvent avoir sur la productivité, la compétitivité ou la progression salariale, le niveau élevé et la forte progressivité des prélèvements obligatoires touchant les salaires plus élevés, et ce faisant le travail qualifié.

A la demande de la Fédération Syntec*, qui représente les secteurs du numérique, de l’ingénierie, du conseil, de l’événementiel et de la formation professionnelle, Rexecode a comparé les prélèvements sur le travail dans les grands pays de la zone euro et aux Etats-Unis par niveaux de rémunération. L'étude permet de positionner la France en termes de coût du travail pour les employeurs, et d’attractivité pour les salariés.

La France se distingue par une surfiscalité du travail pour les rémunérations supérieures à environ 1,4 SMIC qui s’accroit avec la rémunération. Cette surfiscalité pénalise l’économie française: (1) elle augmente les coûts des secteurs représentés par la Fédération Syntec et que ces surcoûts affectent leurs clients dans l’ensemble de l’économie ; (2) elle réduit l’offre de travail qualifié en rendant sa rémunération moins attractive pour les salariés.

Une surfiscalisation singulière du travail qualifié en France

La France se distingue des autres pays en surfiscalisant le travail pour les rémunérations supérieures à environ 1,4 SMIC, ce qui correspond généralement à du travail qualifié. Cette surfiscalité s’accroit à mesure que le niveau de rémunération, et donc le niveau de qualification, augmente. En revanche, pour les rémunérations comprises entre 1 et 1,4 SMIC, les prélèvements nets sur le travail sont plus faibles en France que dans les autres pays.

Les prélèvements sur le travail représentent 6 points de salaire brut en plus en France en moyenne entre 1,4 et 2,5 SMIC, puis 11 points entre 2,5 et 3,5 SMIC, et davantage au-delà, par rapport à un benchmark européen constitué de l’Allemagne, de l’Espagne, de l’Italie et des Pays-Bas, 

Cette surfiscalité française n'est qu'en partie justifiée par des prestations sociales supérieures (retraite, maladie et chômage). Après ajustement pour ces écarts dans la couverture sociale, la comparaison entre la France et les quatre autres pays continue de faire ressortir une surfiscalisation du travail qualifié. Elle n’est pas non plus justifiée par la performance des dépenses publiques, la France occupant un positionnement médian en matière d’éducation et de santé.

Pour les branches Syntec, un coût du travail comparable à l'Allemagne, mais des revenus moins attractifs

Les métiers représentés par la Fédération Syntec sont davantage présents sur des niveaux de salaire où la France surfiscalise le travail, en cohérence avec leurs niveaux de qualification élevés voire très élevés. Pour ces secteurs, la France est aussi compétitive en termes de coût du travail qualifié que l’Allemagne et les Pays-Bas, mais moins attractive en termes de revenus des salariés

En termes de coût du travail, à poste et qualification comparables, la France occupe une position proche de l’Allemagne et des Pays-Bas, où les prélèvements sont plus faibles, mais les salaires bruts plus élevés d’environ 20%. Elle se situe néanmoins en dessous des Etats-Unis (où le coût de la vie est nettement plus élevé), et au-dessus de l’Espagne et de l’Italie. 

En revanche, en termes de revenu disponible, c’est-à-dire le salaire net d’impôt perçu par le salarié, la France se situe en dessous de l’Allemagne et des Pays-Bas pour des postes rémunéré plus de 3 SMIC en France.

Cet écart n’est pas forcément problématique pour les salariés les plus attachés à la couverture sociale offerte en France, car il est compensé par les prestations sociales qui viennent en contrepartie de ces prélèvements. En revanche, il rend la France moins attractive pour les salariés qui souhaitent disposer d’une plus grande liberté dans la gestion de leur couverture santé, retraite ou chômage.

Surfiscaliser les emplois qualifiés pénalise l'économie française

La surfiscalisation du travail qualifié pénalise l’économie française parce qu'elle en augmente le coût et en réduit la quantité.

La surfiscalisation du travail qualifié a pour effet d’écraser, jusqu’à l’annuler, le rendement de l’investissement dans le capital humain et les qualifications. C’est de nature à décourager une partie de la jeunesse à s’engager dans les formations les plus exigeantes et qualifiantes, notamment pour les étudiants en difficulté financière qui, dans les faits, de rabattent sur des formations en général plus courtes ou moins ambitieuses à niveau scolaire égal). Tout en soulevant des problèmes évidents de freins à la mobilité sociale, cette situation conduit à sous approvisionner le marché du travail qualifié et très qualifié.

Cette surfiscalité se traduit aussi par des surcoûts pour les entreprises.  Le coût de la surfiscalité sur les emplois qualifiés de la branche représente 7,9 milliards d’euros par an, dont 6,6 répercutés aux clients en France des entreprises représentées par la Fédération Syntec. 

Elargir le financement de la protection sociale

Une réduction graduelle de la surfiscalité pesant sur le travail permettrait de neutraliser ces distorsions, avec pour effet d’augmenter l’offre et la demande de travail qualifié dans l’économie. Elle pourrait être financée en reportant le coût de la protection sociale sur des assiettes fiscales moins distorsives que le travail. 

A l’inverse, la réforme des allègements de cotisations sociales présentée dans le scénario central des économistes Antoine Bozio et Etienne Wasmer, si elle atténue les freins à la progression salariale pour les salariés situés au voisinage du salaire médian, conduirait à renforcer la surfiscalité sur travail pour les salariés rémunérés entre 1,8 SMIC et 3,5 SMIC.

A savoir:

- La Fédération Syntec regroupe les secteurs du numérique, de l’ingénierie, du conseil, de l’événementiel et de la formation professionnelle. Elle est composée majoritairement de PME/TPE et pèse pour presque 8 % du PIB. Elle représente 1,4 million de salariés, avec un profil jeune et qualifié: 31 ans en moyenne, 80% de diplômés de bac+2 à bac+5, avec un niveau de salaire moyen à 2,5 SMIC. 

- Dans le cas de la France, les prélèvements sur le travail incluent: les cotisations sociales patronales et salariales, les contributions sociales comme la CSG, et l’impôt sur le revenu, et la prime d’activité qui vient en déduction. L'étude s'appuie sur les données du Centre des Liaisons Européennes et Internationales de Sécurité Sociale (Cleiss) et de l’OCDE, et sur les textes réglementaires nationaux.