Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
Après l'annonce surprise d'un déficit équivalent à 5,5% du PIB pour l'année 2023 en France, la Commission des finances du Sénat a lancé une mission d'information sur la dégradation des finances publiques françaises depuis 2023 et son manque d'anticipation apparent par l’administration et le Gouvernement. Lors de son audition, Olivier Redoulès a préconisé d'adopter un principe de prudence dans les prévisions budgétaires.
Olivier Redoulès, directeur des Etudes de Rexecode, a été auditionné le 15 mai 2024 par la commission des finances du Sénat, dans le cadre de la mission d’information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, son suivi par l’administration et le Gouvernement et les modalités d’information du Parlement sur la situation économique, budgétaire et financière de la France.
Olivier Redoulès :
"La comparaison entre les prévisions de PIB du PLF pour 2024 et de la loi de finances de fin de gestion (LFG) pour 2023 et la réalisation montre un écart très limité. Des écarts s'observent sur certaines composantes, mais dont il est difficile de mesurer l'impact, sur l'impôt sur les sociétés ou la TVA par exemple. La composition de la consommation a peut-être changé, avec une consommation plus forte en volume et moins forte en valeur, ou a porté sur des produits à moindre taux de TVA.
Le HCFP avait jugé réalisable la prévision de croissance pour 2023 inscrite au PLF pour 2024 et dans le projet de LFG pour 2023 tandis que la prévision d'inflation était plausible, mais avait émis une alerte concernant les prévisions relatives à la masse salariale et aux cotisations associées.
Il est très difficile, a posteriori, de recoller les morceaux de l'année 2023 et de trouver des valeurs comparables d'une année sur l'autre. Le changement de base Insee survenu cette année ne facilite pas les choses. Dans l'ensemble, nous avons toutefois recensé, si l'on compare par rapport au PIB, davantage de dépenses publiques, une partie provenant sans doute du changement de base, et surtout moins de prélèvements obligatoires. Des surprises négatives ont été enregistrées sur chaque impôt affecté à l'État, particulièrement sur l'impôt sur les sociétés.
Avec l'information disponible à la fin du mois de novembre 2023 sur la situation mensuelle budgétaire d'octobre, indisponible lors de l'examen du projet de LFG, aurions-nous pu le prévoir?
Pour les recettes de l'État, cela aurait été difficile. Nous aurions pu anticiper une recette de TVA en comparant l'évolution relevée entre janvier et octobre 2023 à celle qui a été enregistrée sur la même période en 2022, et en mettant en regard l'exécuté 2022 : c'est moins élevé mais cela n'aurait pas été très significatif, en particulier au regard de la variabilité importante de l'impôt sur les sociétés, dont les recettes associées ne sont connues, pour le cinquième acompte, que fin décembre.
De nombreux impôts ont par ailleurs été rendus contemporains, pour lier la charge fiscale des agents privés - ménages et entreprises - à leurs résultats immédiats. La contrepartie est que cela les rend beaucoup moins prévisibles. La prévision économique n'aide pas forcément à prévoir ce qui se passe du côté des recettes fiscales.
Concernant l'élasticité des recettes fiscales, la comparaison de l'évolution spontanée des prélèvements obligatoires et du PIB en valeur révèle une légère avance, y compris dans une projection sur cinq ans. Plus qu'une surprise négative, on observe plutôt une sorte de lissage. On peut même s'attendre à une correction pour la période à venir. On s'attend à ce que l'élasticité des recettes fiscales soit peut-être inférieure à 1, notamment du fait des allègements de charges à venir sur les cotisations mais aussi parce qu'on est dans un cycle immobilier baissier. Cependant, il ne faut pas attendre de cette surprise négative des marges de rebond pour 2024 ou les années à venir.
Concernant le passé, la prévision macroéconomique était quasi exacte, mais assortie d'une mauvaise appréciation difficile à transcrire sur les recettes fiscales en temps réel.
Le choc inflationniste, d'abord favorable aux recettes publiques, s'est ensuite avéré défavorable. Des surprises très négatives sont survenues dans la consommation des ménages. Par ailleurs, le comportement de la TVA, dont l'évolution de la base fiscale a été assez proche de celle du PIB - autour de 6%, alors que la recette a évolué de 3% - demeure difficile à comprendre. Cela tient notamment aux effets de remboursements et aux comportements des entreprises en matière de trésorerie, liés aux surcoûts auxquels elles étaient confrontées pour leurs emprunts. Une incertitude importante perdure sur les recettes de l'impôt sur les sociétés, susceptible de se traduire par un effet de base négatif pour les prévisions budgétaires pour 2024.
Au vu de ce constat, une certaine modestie est de mise à l'égard de nos prévisions économiques. Un principe de prudence doit en outre s'appliquer. Nous devons nous autoriser des marges d'erreur, comme l'a indiqué François Ecalle précédemment: une erreur de prévision de 0,3 point peut se comprendre. On pourrait viser une marge d'erreur et affecter les bonnes surprises à la réduction du déficit, qui reste encore élevé.
Les économistes ont leur mot à dire sur la trajectoire budgétaire, notamment de moyen terme, mais ne sont malheureusement pas toujours écoutés.
La trajectoire de PIB effectif et de PIB potentiel du Gouvernement, dans le programme de stabilité, s'appuie sur l'hypothèse d'un écart de production très important pour 2023. Cette hypothèse, qui peut être justifiée pour un macroéconomiste, semble trop optimiste pour la prévision budgétaire. Cela revient en effet à présumer une accélération de la croissance au-delà de la croissance potentielle, pourtant assez élevée dans les prévisions du Gouvernement, à 1,35%, alors qu'en se fondant sur les années précédentes, le chiffre serait situé entre 1% et 1,2%.
Cet écart de production sert de point de départ au PIB potentiel et de cible pour le PIB effectif à moyen terme. Or il est très incertain. Même sur le passé, où toute l'information nécessaire est disponible, les organisations internationales (Commission européenne, Fonds monétaire international, OCDE) ne sont pas d'accord. Il serait sans doute raisonnable d'avoir un écart de production pour la prévision budgétaire qui soit nul.
Pourquoi la prévision macroéconomique est-elle importante et pourquoi devrait-elle être davantage prise en compte, moyennant un biais de prudence notamment pour la prévision budgétaire?
Des variables macroéconomiques découlent des prévisions de recettes. On se fixe ensuite un objectif de déficit, dont on déduit des dépenses. Or de nombreuses incertitudes demeurent sur le plan macroéconomique, pour l'année en cours et a fortiori sur cinq ans: le point de départ du PIB potentiel est difficile à prévoir, le rythme de croissance potentielle est incertain, le risque d'occurrence d'une crise n'est pas nul et l'effet des réformes est difficile à appréhender, que ce soit positivement ou négativement, mais aussi à séquencer et à dater. Le problème est que les erreurs de prévision n'ont pas les mêmes effets selon qu'elles se font à la hausse ou à la baisse. C'est pourquoi il est important de conserver des marges d'erreur et de suivre un principe de prudence.
Année après année, depuis 2008, la comparaison entre les trajectoires des lois de programmation des finances publiques et le déficit public constaté montre que l'on a quasi systématiquement manqué la cible, si l'on exclut la période 2017-2019."
Voir le compte-rendu complet des auditions sur le site du Sénat
Etaient également entendus :
- François Ecalle, président fondateur de l'association Fipeco
- Mathieu Plane, directeur adjoint de l’OFCE.
Dans les médias :
PUBLIC SENAT, 15/05/2024
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