Pour la revue La Semaine, Olivier Redoulès revient sur les enjeux du Budget 2025 et plus globalement sur de la politique budgétaire alors que la France attend encore la formation d'un nouveau gouvernement.

Un "pays endetté" est-il un "pays paralysé" comme la déclaré Pierre Moscovici, président de la Cour des comptes ?

C’est une question de risque. Pierre Moscovici a utilisé une formule courte pour marquer les esprits, mais tous les pays sont endettés. Ce sont surtout le niveau et surtout la trajectoire d’endettement qui importent.  En France, la trajectoire d’endettement est croissante, que l'on se tourne vers le passé ou le futur.

La dette publique française est estimée à 110,6% du PIB en 2023. Elle est croissante par rapport au passé puisque nous étions à 60% du PIB en 2000. Elle a quasiment doublé, ce qui n’est pas, par exemple, le cas de l’Allemagne. Une dette croissante également à l’avenir puisque, selon les prévisions qui font consensus, elle atteindrait 120% dans quelques années. Personne aujourd’hui, à part le gouvernement sortant, ne croit à une stabilisation de l’endettement. 

Avec 120% de dette publique comme cela va être bientôt le cas de la France, le gouvernement doit convaincre ses créanciers de continuer de lui prêter, ne serait-ce que pour financer les dépenses courantes. 

Dans une situation exceptionnelle de crise comme celle du Covid, la Banque centrale et les autorités européennes facilitent l’endettement. Mais ce n’est pas une situation normale. Avec 120% de dette publique comme cela va être bientôt le cas de la France, le gouvernement doit convaincre ses créanciers de continuer de lui prêter, ne serait-ce que pour financer les dépenses courantes. Quand vous dépensez près de 80 milliards par an juste pour payer les intérêts de la dette, il faut les prendre sur d’autres budgets, rogner sur la santé, l’éducation, les transports publics, la police. C’est dans ce contexte que je comprends le message de Pierre Moscovici.

Au regard de la situation politique actuelle, vous paraît-il possible de corriger la trajectoire des finances publiques ?

Possible oui, sur le plan économique, d’autres pays l’ont fait. Sur le plan politique, c’est plus compliqué. Rares sont les représentants politiques vraiment convaincus de la nécessité de réduire l’endettement public. Le sujet des finances publiques a été quasiment occulté de la présidentielle de 2022. Les partis ou coalitions arrivés en tête des Législatives anticipées de 2024 prévoient des mesures qui vont dans le sens de plus de déficit et de dette. Et c'est aussi le cas de celles annoncées par le parti présidentiel. Toutes les formations politiques ont bien conscience qu’il y a une dette, qu’il faut la refinancer et qu’il est nécessaire de rassurer Bruxelles et la Banque centrale européenne, pour ne pas se retrouver au pied du mur, mais personne n’est vraiment prêt à fournir des efforts.

Comment la France va-t-elle pouvoir échapper aux foudres de la Commission européenne?

Il y a plusieurs façons qui permettent, non pas d’échapper à une procédure pour déficit excessif puisque nous y sommes déjà et que nous risquons d’y être longtemps, mais de l’aménager. L'enjeu est de ne pas être forcé à faire des ajustements brutaux. 

Bruxelles et nos partenaires européens, ont appris de la crise des dettes souveraines de 2010. L’impératif de revenir rapidement aux ratios de déficit et de dette du traité de Maastricht avait entraîné une hausse du chômage spectaculaire dans certains pays, notamment en Grèce, Italie ou Espagne. Pour autant et c’est normal, les institutions européennes ont la volonté d’éviter les divergences fortes entre pays. 

Si l’on veut que la consolidation budgétaire se passe bien, il faut tenir compte de l'équilibre européen, fournir des efforts et les présenter de manière crédible. 

Si l’on veut que la consolidation budgétaire se passe bien, il faut tenir compte de cet équilibre européen, fournir des efforts et les présenter de manière crédible. Cela peut permettre d’allonger les plans de redressement. Pour autant, la France devra ramener son déficit aux 3% et stabiliser sa dette. Or, avec un déficit structurel (hors aléas conjoncturels) de 4 à 5% du PIB, compter sur la seule croissance du PIB ne suffira pas. Il faudra réduire les dépenses publiques, vu le poids déjà considérable des prélèvements obligatoires.

Voir Gabriel Attal envoyer à chaque ministre une lettre de cadrage n’est-il pas aussi vain qu’absurde?  Un gouvernement qui a démissionné peut-il préparer le budget 2025?

Je pense qu’il ne faut pas surestimer la portée politique des lettres de cadrage à ce stade. Le nouveau gouvernement aura toute latitude pour réfléchir à des arbitrages, mais l’état des lieux et la préparation des négociations entre ministères auront été effectués.

Rassembler les résultats de l’année passée et les prévisions de dépenses et recettes par poste, c’est très technique. C'est une grosse machine qui devait être mise en marche sans tarder, d’autant que le calendrier budgétaire sera accéléré. Pour le gouvernement actuel, il était normal d’amorcer cette procédure administrative dans laquelle il ne faut pas déceler trop d’intentions politiques.

Alors que le projet de loi de finances doit être déposé le premier mardi d’octobre 2024, la France aura-t-elle un budget 2025 ?  Peut-on s’en passer ?

Pour avoir un budget, le gouvernement doit être en mesure d’en proposer un dans les temps. Mais son adoption dépend du Parlement, qui est très morcelé et face auquel le 49-3 sera moins applicable que par le passé.

Il existe cependant des instruments ou des mécanismes qui permettent, à minima, de préserver le financement de l’État. Je pense qu’il ne faut pas exagérer les problèmes bureaucratiques ou même institutionnels. A un moment donné une voie sera trouvée.

Par contre, nous avons un sujet de soutenabilité des finances publiques. On s’est habitué aux crises régulières qui entraînent des dépenses exceptionnelles qui ensuite restent. Plus on prend du temps à mettre les choses en ordre, plus on prend le risque d’avoir un choc brutal qui vient des marchés financiers, de nos partenaires européens ou d’ailleurs. Ce choc en entrainerait d’autres : coupure assez massive sur des dépenses ou prélèvement d’un impôt exceptionnel.  Il ne faut pas exagérer le risque, mais si l’on fait tout faux de manière continue, il peut devenir réalité.

La croissance est importante pour améliorer la vie des gens,  mais ce n’est pas la croissance qui va nous sortir de l’ornière budgétaire.

Vous évoquiez la croissance, s’il y a péril en la demeure comment y échapper ? En soutenant la croissance, en utilisant le levier fiscal ou en maîtrisant les dépenses mais lesquelles ?

La croissance de l’économie ne se décrète pas. Elle a surpris à la hausse récemment, c’est d’ailleurs un signal positif, mais la croissance procède d’abord de l’action économique des entreprises, des salariés, des consommateurs etc. A très court terme, on a assez peu de poids sur elle, ou cela peut être de l’ordre d’un feu de paille, comme avec les Jeux Olympiques de Paris 2024. A moyen terme, la croissance peut être rehaussée par des réformes structurelles, mais sans calendrier précis. Enfin, le rythme de croissance a plutôt tendance à baisser au fil des décennies. La croissance est donc importante pour améliorer la vie des gens, mais ce n’est pas la croissance qui va nous sortir de l’ornière budgétaire.

Sur les leviers d’action budgétaire, le choix entre dépenses et recettes nous met en face de deux sujets : 1, le choix des citoyens donc leur consentement à l’impôt, 2, l’efficacité économique. Si on se place du côté du choix des citoyens, on voit bien qu’il y a une forme de contradiction entre le désir de toujours plus de protection et de services publics et, de l’autre, leur sentiment qu’il y a trop d’impôts et de prélèvements. Ces contradictions se reflètent dans le jeu politique. Nous avons l’un des taux de prélèvements obligatoires les plus élevés des pays de l’OCDE et européens, et nos dépenses publiques dépassent les prélèvements obligatoires (d’où les déficits). La logique voudrait que l’on s’attaque d’abord aux dépenses publiques.

On peut penser que vu le niveau des dépenses publiques en France, si l’État intervenait moins dans l’économie, ce serait, sans doute, gagnant-gagnant.

Quelles dépenses publiques soit-on baisser en priorité? Quelles dépenses publiques soit-on baisser en priorité?

Les dépenses publiques, de manière générale, c’est l’État qui intervient à la place des gens. Parfois c’est bien, mais pas tout le temps. Quand l’État fait à la place des gens, cela veut dire aussi que ce sont des choix collectifs qui s’imposent à l’individu. 

On peut penser que vu le niveau des dépenses publiques en France, si l’État intervenait moins dans l’économie, ce serait, sans doute, gagnant-gagnant. C’est-à-dire qu’il y aurait plus d’activité économique, il y aurait plus de dépenses privées, et plus de recettes parce que, qui dit activité économique dit aussi recettes fiscales, et cela réduirait le déficit. 

Nous avons le premier ou le deuxième niveau européen de dépenses publiques, le baisser de quelques points ne remettrait pas en cause fondamentalement notre modèle social. D’autres pays européens dotés de modèles protecteurs, ont des performances équivalentes en terme d'espérance de vie par exemple, avec des dépenses sociales moins élevées. 

Ensuite, il y a aussi des réformes qui ne sont pas de nature budgétaire. En France, nous sommes le deuxième pays européen où la durée du travail des salariés à temps complet est la plus faible d’Europe après la Finlande. C’est un choix, reflet des « 35 h » et de congés plus importants, mais le fait est qu’on travaille moins. Cela se traduit dans les niveaux de salaire et de production nationale. Travailler plus serait un moyen d’augmenter la croissance et les recettes publiques. Après, il faut que les gens acceptent de travailler davantage, mais c’est un autre sujet.

Keynes disait que les marchés financiers fonctionnent un peu comme un concours de beauté. A un moment, on risque de souffrir de nos écarts aux autres pays européens.

Allons-nous être le plus mauvais élève de l’Union européenne? 

Nous sommes sur cette voie étant le pays avec le taux d’endettement le plus élevé après la Grèce et l’Italie. D’autres pays font face aussi à des difficultés et les trajectoires affichées de retour aux 3% ne se matérialisent pas toutes. La France n’est pas le seul pays à faire des promesses qu’elle ne tient pas, mais nous sommes un habitué des procédures de déficit excessif. 

En fait, on est entré dans la crise de 2020 avec des finances plus dégradées que celles de nos partenaires. C’est ça le véritable sujet. De manière tendancielle, année après année, on diverge, on s’éloigne des autres qui ont tendance à revenir autour des 3% - au moins à moyen terme, et nous on diverge progressivement. C’est un sujet qui devrait inquiéter même les économistes keynésiens parce que Keynes disait que les marchés financiers fonctionnent un peu comme un concours de beauté. A un moment, on risque de souffrir de nos écarts.