Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
Les bonnes nouvelles se succèdent en France sur le front de l'emploi: le chômage et le sous-emploi reculent, la part des embauches en CDI augmente. Pour autant, alors que le chômage pris au au sens large reste très élevé, les difficultés de recrutement révèlent un défaut d'appariement entre offre et demande de compétences. Selon le Céreq, un nombre croissant de jeunes diplômés subissent une forme de déclassement sur le marché du travail. Dans le même temps, les moins formés en sont de plus en plus exclus.
• Les récentes statistiques du marché du travail ont distillé un florilège de bonnes nouvelles
Les créations nettes d'emploi se font à un rythme proche de la croissance. Plus de 170.000 emplois ont été créés depuis un an dans le secteur privé. Quelques indicateurs de précarité s'améliorent: la part des embauches effectuées en CDI est en hausse et 200.000 personnes sont sorties du sous-emploi (soit le temps partiel subi) en un an.
Le taux de chômage pris dans une acception large, en ajoutant aux chômeurs au sens du BIT et aux personnes en sous-emploi celles considérées comme inactives mais qui souhaiteraient travailler, a reculé de 1,3 point en un an (-440.000 personnes). Il reste toutefois très élevé, à 17,2% de la population active.
L'ampleur des difficultés de recrutement pour nombre de secteurs et de niveaux de qualification illustre la profondeur du défaut d'appariement entre offre et demande de compétences. C'est aussi la conjonction du type d'emploi occupé avec le niveau de formation initiale qui est en question. Les enquêtes génération du Céreq montrent bien qu'un phénomène de déclassement est à la fois enraciné et en progression. Un nombre croissant de diplômés occupent des emplois requérant un niveau de qualification inférieur à celui associé "normalement" à leur formation initiale.
Le marché du travail fonctionne en partie comme une machine à double détente: à la frustration de diplômés "déclassés" s'ajoute l'exclusion croissante des moins formés, empêchés d'accéder aux postes à faible niveau de qualification pourvus par des personnes surqualifiées. Le taux d'emploi des 20-29 ans sans formation a chuté de plus de 10 points en 10 ans pendant que celui des plus diplômés en gagnait 2.
Ce phénomène n'est pas spécifique à la France. Il s'observe aussi aux Etats-Unis, notamment durant les périodes de récession, comme l'ont montré Régis Barnichon et Yanis Zylberberg. Dans le cas de la France, la prime accordée au diplôme apparaît plus permanente dès lors que le développement des emplois de haut niveau de qualification n'a pas suivi celui du nombre de diplômés. Par exemple, le nombre de cadres s'est accru de 38% entre les générations 1992 et 2010, alors que celui des diplômés du troisième cycle et de doctorat progressait de 83%.
Ce décalage soulève la question de l'évolution de la structure des qualifications des postes après 25 ans de politique d'abaissement du coût du travail sur les bas salaires.
Cette politique a contribué à l'enrichissement du contenu en emplois de la croissance. Mais elle a aussi pu contribuer à figer la structure des postes offerts relativement à l'évolution du nombre de diplômés. C'est d'autant plus probable que le niveau du coût salarial relatif du personnel à haut niveau de qualification est demeuré élevé par rapport aux autres pays européens, contribuant à freiner leur progression. Le fonctionnement de cette "job machine" à double détente invite ainsi à une analyse des dynamiques d'emploi qui aille au-delà du seul résultat chiffré pour intégrer une dimension plus qualitative associée aux enjeux de la montée générale en compétences.
Texte de Denis Ferrand, directeur général de Rexecode, publié dans Les Echos "idées & débats" du 21 mai 2019
Sur les dysfonctionnements du marché du travail en France, voir aussi l'interview de Denis Ferrand par Adrien de Tricornot sur Xerfi Canal (avril 2019)