Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
L’agence de notation américaine Standard & Poor’s (S&P) a rendu son verdict le 31 mai 2024: déjà sous surveillance, la qualité de la dette française a vu sa note abaissée de "AA" à "AA-". Charles-Henri Colombier, directeur de la conjoncture de Rexecode, explique au Nouvel Obs les raisons "légitimes" de cette dégradation, ainsi que son incidence potentielle sur l'économie et les finances publiques en France.
Il y a plusieurs raisons légitimes pour dégrader la note de la dette française selon les critères de S&P, qui nous avait placés "sous surveillance" depuis déjà un an. La première, et la plus importante, c’est que dans la zone euro, il n’y a plus que deux pays qui ont à la fois une dette élevée par rapport à leur PIB et une trajectoire de leur dette orientée à la hausse: la France et l’Italie. Le Portugal et l’Espagne sont eux aussi lourdement endettés, mais ils ont pris des mesures fortes pour réduire leur problème. Cette trajectoire haussière est un point essentiel pour S&P : l’an dernier, ses experts avaient mis notre dette sous simple surveillance, parce que nous semblions être en voie de la réduire.
Un deuxième point négatif qui justifie la baisse: les comptes publics de 2023 se sont révélés être non conformes aux prévisions du gouvernement. Bercy prévoyait un déficit des comptes inférieur à 5%, alors que, suite notamment à des recettes fiscales plus basses que prévu, le déficit a atteint 5,5%. Ce dérapage entraîne des économies budgétaires pour le budget 2024 et une correction d’au moins 20 milliards sur le budget 2025 en cours d’élaboration, mais nous n’avons pas encore les détails des coupes attendues.
Le troisième point négatif, c’est que rien n’indique que les dépenses publiques vont baisser: elles représentent 57% du PIB de la France, un record en Europe, et Emmanuel Macron a lui-même affirmé que la France n’avait "pas un problème de dépenses excessives". Visiblement, c’est sans doute un problème pour les agences de notation, car elles ne voient pas quand la France aura la volonté de réduire le poids de l’Etat, et ses déficits perpétuels. Voilà donc pourquoi la décision finale de S&P n’est pas une surprise.
Il y aurait eu tout autant de raisons de maintenir la note à son niveau actuel que de la dégrader puisque, effectivement, la croissance française est plutôt orientée à la hausse - mais elle était très faible en 2023. L’épargne française reste forte, ce qui indique que le pays aurait les moyens de financer le remboursement de sa dette, et les prêteurs étrangers restent très demandeurs de notre dette. Enfin, le gouvernement agit actuellement sur l’assurance chômage, ce qui plaît généralement aux agences de notation parce que ce durcissement des règles pourrait rapporter à la fois des économies budgétaires et des recettes fiscales supplémentaires avec les nouveaux emplois qui seront créés. Mais le faible niveau du chômage est aussi une mauvaise nouvelle pour les perspectives de croissance: la productivité s’est affaiblie, ce qui traduit des problèmes de recrutement toujours importants pour les entreprises, qui n’auront donc pas les moyens d’augmenter significativement leur production.
A court terme, sur le plan financier, elles seront a priori très faibles. Il est possible que le coût de la dette augmente très légèrement, mais les marchés ne semblaient pas inquiets ces derniers jours. Le principal impact à court terme sera donc politique: on peut déjà prévoir que les oppositions critiqueront l’incurie de Bercy et du gouvernement. En revanche, la dégradation aura un effet à moyen terme car le gouvernement devra prendre des mesures résolues pour stabiliser le poids de la dette publique et rassurer ainsi les agences. Cela se traduira par la recherche de nouvelles coupes dans les dépenses, au-delà des 20 milliards qui étaient envisagés, voire de nouvelles recettes.
Propos recueillis par Claude Soula
L'article complet est disponible sur le site du Nouvel Observateur sous le titre: La France dégradée par S&P : «Cela se traduira par la recherche de nouvelles coupes dans les dépenses», 31 mai 2024
Communiqué de Presse de Standards and Poor's: France Long-Term Rating Lowered To 'AA-' From 'AA' On Deterioration Of Budgetary Position; Outlook Stable, 31-May-2024 16:04