Olivier Redoulès revient sur les principales conclusions de son travail de comparaison de la durée effective de travail dans l'Union européenne. La France reste en 2022 le pays européen après la Finlande où la durée effective de travail des salariés à temps complet est la plus faible, en ligne avec les comparatifs effectués depuis 2012. La baisse de la productivité du travail constatée depuis 2019 renforce la tension entre le choix collectif pour davantage de temps libre et la demande de pouvoir d'achat et de services publics.

Hélène Zelany, Europe1 - Les Français travaillent moins longtemps que la moyenne européenne avec une productivité qui baisse, c'est le tableau assez peu flatteur que dresse l'institut d'études économiques Rexecode dans une étude qui porte sur l'année 2022. Le mieux placé pour en parler, c'est vous Olivier Redoulès, vous êtes directeur des études chez Rexecode.

Nous travaillons 39 h par semaine en France, c'est la plus faible moyenne européenne après la Finlande ?

En réalité, on travaille un petit peu moins. 39 h par semaine, c'est la durée théorique, c'est ce qu'on appelle la durée habituelle du travail, ce que les gens déclarent quand il n'y a pas de congé. Mais, pour bien compter les heures réellement effectuées sur toute une année, on tient compte notamment des congés, des absences pour maladie, etc. Sur l'année 2022, les salariés à temps complet ont travaillé en France 1668 heures. Et effectivement, c’est la deuxième plus faible quantité de travail après la Finlande.

Comment cela s'explique-t-il ? On a plus de congés que les autres, plus d'arrêts maladie que les autres ?

Un peu des deux. On a sans doute plus de congés, notamment que l'Allemagne, et il y a ensuite les arrêts maladie. L'année 2022 est encore un petit peu spécifique puisque c'était encore une année de Covid, mais ce constat est conforme à celui que l'on pouvait faire avant crise. En 2019, c'était notre dernière publication, on avait déjà ce classement. Effectivement, on voit quand on se compare notamment avec l'Allemagne, que l'on a beaucoup plus de congés.

Et puis la réforme des 35 h joue aussi...

La réforme des 35 h (lois Aubry de réduction du temps de travail) explique une forte baisse du temps de travail en France au début des années 2000. Il est vrai qu'au moment où on a fait cette réforme, la méthodologie des enquêtes (sur les forces de travail, coordonnées par Eurostat) a changé, ce qui a pu jouer en partie sur les résultats. Mais on voit quand même l'empreinte des 35 h sur l'évolution du temps de travail de la France, et le fait qu'on ait cette préférence collective pour le temps libre qui est inscrite dans la règle.

On travaille moins en France, mais comment évolue notre productivité ?

La productivité a beaucoup baissé en France depuis 2019, plus que dans d'autres pays, et plus qu'en Allemagne. Cela tient en partie à une raison de nature statistique, l’augmentation du nombre d’apprentis notamment se traduit par une baisse peut-être un petit peu surestimée de la productivité en France. Certains secteurs ont pu aussi être plus pénalisés par le contexte de crise en Europe, par exemple l'aéronautique, l'automobile, mais aussi l'énergie nucléaire où il y a eu une pause l’an dernier. Mais globalement, il reste un décalage de productivité qui est inexpliqué, et qui se retrouve par ailleurs dans le pouvoir d'achat.

Est-ce que cela nous affaiblit par rapport aux autres pays en termes de concurrence?

Le fait que l'on travaille moins, que l'on ait ces heures normales un petit peu plus faibles qu'ailleurs cela nous affaiblit, mais c'est aussi un gisement d'opportunités. Cela signifie que l'on a un levier à activer pour mobiliser davantage la force de travail. En fait, la création de richesse, c'est quoi? C'est de l'emploi, c'est-à-dire des heures travaillées et de la productivité. On peut compenser moins de productivité par une plus forte mobilisation du temps de travail.

Les salariés français sont peut-être plus heureux que les autres ?

On a une préférence collective pour le temps libre, mais par ailleurs, on voit bien que le sujet de pouvoir d'achat est aussi très important et qu’il y a aussi une forte demande de services publics, des dépenses publiques qu’il faut financer. C’est difficile à concilier à la longue, notamment dans un contexte de transition écologique qui va susciter encore plus de tension sur la production de richesses. Il y aura peut-être un arbitrage à faire entre le temps libre et le pouvoir d'achat.

Vos chiffres portent sur l’année 2022, comment voyez-vous 2023 ?

En 2023, on ne verra pas forcément d'évolution majeure. On devrait avoir sans doute un peu moins d'arrêts maladie avec une moindre incidence de l’épidémie de Covid, sous réserve de son évolution. Il y a quand même une forme de stabilité du volume d'heures effectuées sur longue période, donc on devrait rester dans cette zone. D'ailleurs, l'estimation que fait l'Insee du volume d’heures travaillées en France n'a pas bougé entre 2019 et 2022, on est exactement au même niveau.
 

Les Français travaillent moins longtemps que la moyenne européenne et leur productivité baisse
Europe 1, 19h-20h, L’invité actu d'Hélène Zelany - 06/12/2023