Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
Les prévisions de croissance pour la France se sont souvent avérées erronées, ou du moins inexactes. Faut-il pour autant renoncer à prévoir? Plus qu'un chiffre précis dont la confirmation peut relever du hasard, pour des raisons statistiques notamment, c'est l'histoire que décrit une prévision que l'on doit juger rappelle Denis Ferrand, la capacité à anticiper les mouvements conjoncturels plus que leur magnitude. Il examine donc aussi à cette aune, la performance des prévisions des principaux instituts, et de Rexecode en particulier, depuis une vingtaine d'années.
Avec l'automne reviennent les textes budgétaires (projet de Budget, programmation pluriannuelle des finances publiques), et les prévisions de croissance associées. Chaque année, d'importantes divergences apparaissent entre la prévision de croissance retenue par le Gouvernement et celle d'organismes indépendants. Dans un rituel quasi immuable, la première se révèle plus favorable que les secondes même si, depuis la création du Haut Conseil pour les finances publiques, l'excès d'optimisme s'est plutôt tempéré.
La prévision a toutefois une vertu: elle engage celui qui l'effectue. et il se doit d'apprécier ex post la conformité des anticipations avec la réalisation. Cependant, plus qu'un chiffre précis dont la confirmation peut relever du hasard, c'est l'histoire que décrit une prévision que l'on doit juger.
Il est vain d'attendre d'une prévision de croissance qu'elle se révèle parfaite à la décimale près. Une telle situation relèverait presque du hasard. La principale raison tient à la construction statistique.
Une prévision de croissance est une comparaison entre un point d'arrivée (le PIB annuel en 2024) et un point de départ (le PIB annuel en 2023). Or, entre la prévision pour 2024 réalisée en septembre 2023 et la première estimation de la croissance une fois l'année 2024 terminée, le niveau du PIB de 2023 aura été révisé à dix reprises. Pour faire image, réaliser une prévision s'apparente à viser une cible tout en faisant du trampoline. Les chances de l'atteindre sont assez faibles quand le point de départ fait l'objet de révisions permanentes.
A cette instabilité, peuvent s'ajouter des éléments peu probabilisables, mais éminemment perturbateurs pour le fonctionnement de l'économie, comme la pandémie de Covid-19 ou la guerre en Ukraine, qui font que toute prévision chiffrée revient à construire un édifice sur du sable.
Faut-il donc renoncer à prévoir? Tout dépend de ce que l'on en attend. Plus que le calcul d'un chiffre hypothétique de croissance, la prévision relève avant tout d'un diagnostic de la situation conjoncturelle et du chemin que l'économie pourrait emprunter. Ce chemin est dessiné en appréciant dans quelle mesure les régularités du passé peuvent se répéter: par exemple, la manière dont l'investissement a pu être affecté dans le passé par des hausses de taux d'intérêt est une question clé à laquelle les prévisionnistes doivent répondre en donnant des ordres de grandeur.
Des paris sont également à effectuer, par exemple en ce qui concerne le comportement de consommation des ménages, alors que leur fuite actuelle vers l'épargne ne cesse de surprendre. Ce faisant, la prévision identifie des points d'appui et de faiblesse de l'activité. Elle donne ainsi des pistes pour l'action en termes de politique publique comme de choix stratégiques d'entreprise. Plus qu'un chiffre précis, c'est l'histoire que décrit une prévision que l'on doit juger : le mouvement conjoncturel est-il correctement anticipé ? La croissance, l'inflation sont-elles prévues en accélération ou en décélération d'une année sur l'autre ? C'est plutôt la description du mouvement qu'effectuent les prévisionnistes que sa magnitude qui est à jauger.
C'est pourtant sur l'écart entre le chiffre de croissance prévu et la réalisation que les prévisionnistes sont évalués. Et c'est un jugement est parfois cruel. Ainsi, Rexecode avait pour sa part redouté une année de stagnation stricte du PIB pour 2023. Finalement, la croissance pourrait être de quasiment 1%. Une explication de cette erreur tient notamment aux politiques publiques, non connues en septembre 2022, ayant atténué le choc énergétique.
Une perspective à plus long terme est cependant réconfortante quand on constate que Rexecode est l'un des instituts dont la prévision s'éloigne le moins en valeur absolue de la croissance réalisée. Se confronter à ses prévisions passées permet de repérer d'éventuels biais de représentation: est-ce que l'on se trompe par excès d'optimisme ou de pessimisme ?
Dans les faits, tous les organismes effectuant de la prévision ont eu un biais optimiste: ils ont tous plus souvent prévu une croissance supérieure à celle qui s'est réalisée qu'une croissance inférieure. Dans le cas de Rexecode, nous ne sommes pas les plus pessimistes, nous sommes simplement les moins optimistes, car c'est globalement et en tendance la croissance qui a déçu par rapport aux prévisions, et ce, depuis le début du siècle.
Chronique mensuelle de Denis Ferrand parue dans Les Echos du 2 octobre 2023