Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
Fin 2023, le PIB en France reste inférieur de 4 points au niveau qu'il aurait atteint en prolongeant la trajectoire de croissance pré-Covid. La cicatrice laissé par la crise sanitaire, puis par le choc d'inflation, est profonde. Or, l'examen des moteurs de la croissance en France depuis 2019 et dans la période récente montre que la capacité de l’économie française à réduire cette cicatrice s’émousse. L’investissement productif fléchit et, si la demande des ménages devrait prendre le relais en 2024, le déficit persistant de compétitivité interroge sur la capacité de la production domestique à la satisfaire.
De 2019 à 2023, la croissance en France a été de 1,5% selon la première estimation des comptes nationaux, soit 0,4 point par an. Durant la décennie 2010, la croissance avait été de 1,4% par an en moyenne. Il reste un écart de 4 points entre le niveau du PIB qui aurait été atteint en prolongeant sa tendance pré-Covid et son niveau estimé actuellement. Cette cicatrice, laissée par les passages de la pandémie de Covid puis du choc inflationniste, est profonde. Elle est d’une ampleur comparable dans la zone euro. Elle est en revanche inexistante aux Etats-Unis où le niveau du PIB est égal à celui qui aurait été atteint en prolongeant sa tendance antérieure au Covid. Surtout, la capacité de l’économie française à réduire cette cicatrice semble s’émousser à mesure du fléchissement de l’investissement productif et du déficit persistant de compétitivité. C’est ce que montre une analyse des contributions à la croissance en France.
Deux approches principales permettent de décomposer les sources de la croissance, l’une par la demande, la seconde par l’offre. Sur le versant demande, pour sa partie privée, l’investissement des entreprises a apporté une contribution majeure à la croissance du PIB depuis 2019. En progressant de 10,5%, il a apporté 1,4 point de croissance sur 1,5. Cette contribution risque toutefois de disparaître en 2024. De fait, les entreprises ont déjà réduit leurs dépenses en capital fixe fin 2023 en même temps qu’elles ajustaient à la baisse le niveau de leurs stocks. Ce double mouvement s’opère alors que la situation de trésorerie se dégrade, comme le montre la baisse de plus de 10% depuis deux ans des actifs liquides (corrigés de l’inflation) détenus par les entreprises. La prudence semble ainsi l’emporter en ce qui concerne les dépenses en capital.
A l’inverse, le poste de dépenses le plus important qu’est la consommation des ménages n’a apporté que 0,5 point à la croissance depuis 2019 alors même le pouvoir d’achat de leur revenu a gagné 3,9%. Leurs dépenses d’investissement en construction ont pour leur part chuté de 1,5% en volume. Les ménages ont collectivement privilégié l’épargne financière. Toutefois, la consommation des ménages pourrait désormais se reprendre. Les prestations sociales progresseront plus que les prix, tout comme les salaires moyens par tête. En l’absence de nouvelle hausse des taux, la fuite vers l’épargne pourrait aussi s’interrompre. Notons par ailleurs que les dépenses publiques en biens et services ont contribué pour 1,3 point à la croissance.
Dernier poste de demande, les échanges extérieurs nets ont amputé la croissance de 1,2 point depuis 2019. Ce mouvement s’explique par la sous performance des exportations: leur volume est identique en 2023 à leur niveau de 2019 alors que la demande mondiale adressée à la France a gagné 7% dans l’intervalle. Il tient aussi à une pénétration accrue du marché intérieur par les importations. Depuis 2022, un écart très important est apparu dans les dérives des prix de production en défaveur de compétitivité européenne par rapport à ses concurrents mondiaux. Il y a ainsi de quoi douter que l’aptitude de l’économie à répondre au changement de pied de la demande interne en faveur de la consommation se soit grandement amélioré.
Le deuxième mode de décomposition de la croissance renvoie à l’offre. La croissance s’appréhende comme la somme de l’évolution des heures travaillées et des gains de productivité apparente du travail. Toute la croissance et même bien au-delà est venu de l’emploi : +5,9% pour les heures travaillées et -4,3% pour la productivité. A long terme, c’est la productivité qui dicte l’évolution des salaires réels. Si son affaissement s’inscrit dans la durée, la question du partage de cette perte durable entre emploi et salaires réels se posera forcément.
Chronique de Denis Ferrand
La croissance française a changé de pied et de pointure
Les Echos, 9 février 2024