Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
La crise du coronavirus affecte durement les entreprises à l'heure où il faudrait investir davantage, dans la transition énergétique et digitale notamment. Faute de répondre aux énormes besoins en fonds propres, le système productif français risque le décrochage. Jugeant que le plan de relance n'est pas à la hauteur des enjeux, M. Didier propose d'aller plus loin avec deux outils: des prêts participatifs sans échéance fixe et des fonds de placement garantis par l'Etat pour drainer l'épargne des ménages vers les entreprises non cotées.
• Pourquoi les entreprises vont-elles avoir besoin de fonds propres ?
La chute de l'activité va avoir un impact sur les comptes des entreprises. Si l'on prend comme hypothèse une baisse du PIB de 10% à 11% en 2020 suivie d'un rebond de 6% à 7% en 2021, alors, par rapport à ce qui était prévu avant la pandémie, l'excédent brut d'exploitation des entreprises sera amputé de plus de 150 milliards d'euros sur les deux années.
Certes, l'impôt sur les sociétés et les dividendes baisseront aussi, mais la capacité d'autofinancement net des entreprises françaises aura été amputée de 100 milliards d'euros en deux ans. Pour beaucoup d'entre elles, cela signifie deux années d'autofinancement net négatif. Il leur sera impossible de maintenir leurs projets d'investissements à l'heure où il faut investir davantage, dans la transition énergétique et écologique notamment. Sans compter que, même avec l'espoir de vaccin, l'incertitude en matière sanitaire et économique est là pour durer. Ce qui, là encore, n'incite pas à l'investissement.
Ce n'est pas à la hauteur des enjeux. Pour tenir, dans une période d'une telle incertitude, il faut que les entreprises disposent d'une marge de sécurité en matière de fonds propres pour absorber les futurs chocs économiques. Le plan de relance est bien construit, mais relativement classique face à un événement qui ne l'est pas. Il faut bien comprendre que le tissu productif français fait face à une menace de décrochage. La politique économique devrait prendre en compte ce risque. Le besoin en fonds propres est énorme. Il est difficile de dire précisément combien. Probablement entre 50 et 100 milliards d'euros. Une chose est sûre, 20 milliards d'euros ne suffiront pas à faire face aux défis. Et plus il y aura de fonds propres, plus on assurera la reprise.
• De quelle façon les entreprises françaises pourraient-elles augmenter leurs fonds propres ?
Le plan de relance prévoit des prêts dits participatifs. C'est bien, mais il faudrait aller plus loin. Il s'agit de réduire l'incertitude économique à laquelle sont confrontées les entreprises car en soi, celle-ci est un facteur de contraction de l'activité. Ce dont les entreprises ont besoin, c'est d'avoir accès à des vrais prêts participatifs, sans échéances de remboursement fixées à l'avance, et qui seraient remboursables en fonction des résultats de l'entreprise. Cela permettrait à l'entreprise d'éloigner le couperet, ce qui est rassurant pour elle. Evidemment, on pourrait fixer une limite dans le temps, lointaine, afin de sécuriser les banques. Toutes les modalités de ces prêts devraient de toute façon être définies par la négociation entre les parties prenantes afin de partager les risques. Tout le monde sortirait à terme gagnant d'une telle solution.
Les entreprises ont besoin de fonds propres pour financer des investissements par nature risqués alors que les épargnants veulent de la sécurité et préfèrent donc se tourner vers la liquidité et les placements sans risque. Ainsi, leur épargne ne leur rapporte rien et n'irrigue pas le tissu productif français. Pourtant, investir dans des fonds d'investissements dans des entreprises non cotées s'avère en moyenne très rentable. Mais cela est aujourd'hui réservé aux gens très aisés.
Il est possible d'y donner accès à l'épargnant moyen à une condition : pour convaincre les Français, il faut réduire le risque, c'est-à-dire leur proposer des fonds à capital garanti. L'Etat pourrait jouer le rôle d'assureur en dernier ressort, chargé de garantir la mise de fonds de l'épargnant, tout en étant rémunéré pour ce service. Le rendement de ces fonds atteint 10%, duquel il faudrait alors enlever 2% à 3%, le prix de la gestion, et 2%, la rémunération de l'Etat pour sa fonction d'assureur. Le rendement pour l'épargnant serait alors de l'ordre de 5%, avec un capital garanti, ce qui est plutôt attirant vu la faiblesse des taux d'intérêt actuels. On pourrait alors mobiliser des sommes très importantes pour la relance de notre économie.
Michel Didier, président du comté de direction de Rexecode
propos recueillis par Guillaume de Calignon
Analyse et propositions détaillées dans la note :
Faut-il aller plus loin dans le renforcement des fonds propres des entreprises ?
Rexecode, Document de travail N.75, octobre 2020, pp. 55-62