Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
La résurgence de l’inflation vient bouleverser un secteur de l’habillement en pleine mutation. D'abord, elle a un impact direct sur le volume des ventes, les ménages réduisant leurs achats de produits d'habillement de quasiment un pour un quand leurs prix accélèrent. Ensuite, le contexte inflationniste conduit à des arbitrages défavorables à des produits jugés non essentiels. Enfin, le choc général des prix joue le rôle d’accélérateur des mutations des modèles économiques du secteur.
Même si elle tend désormais à baisser, la résurgence de l’inflation depuis deux ans vient bouleverser le secteur de l’habillement de trois manières. L’impact de l’inflation est tout d’abord direct : le volume des produits d’habillement consommé par les ménages se réduit quasiment d’un pour un quand leurs prix accélèrent. Il est ensuite indirect quand l’inflation de l’ensemble des prix occasionne des arbitrages défavorables à la consommation de ces produits. Il tient, troisièmement, au rôle d’accélérateur des mutations des modèles économiques du secteur que joue un choc de prix sur le niveau de vie.
Commençons par l’impact direct que les économistes expriment par "l’élasticité de la consommation de produits d’habillement à son propre prix". En comparaison à la période pré-pandémie de Covid, la consommation des produits d'habillement mesurée en euros constants par l’Insee a baissé de 5,2% (entre les huit premiers mois de 2023 et la même période de 2019) quand leurs prix ont progressé de …5,2%. L’Institut Français de la Mode (IFM) estime même à 12% le recul du volume des ventes d’habillement et de linge de maison dans l’intervalle.
Si cette parfaite identité entre l’ampleur des mouvements de baisse, d’une part, et de hausse, d’autre part, procède d’une forme de hasard statistique, cette forte élasticité du volume consommé à son prix s’observe également à long terme. Une estimation économétrique conduite depuis le début des années 2000 (hors période Covid) montre qu’une augmentation de 1% des prix de vente des produits d'habillement sur un trimestre se traduit par une baisse des volumes consommés de 0,2% au cours du trimestre concerné, puis de 0,4% au bout du deuxième trimestre et de 0,9% au bout d’un an. La répercussion de l’évolution du prix sous forme de moindre volume consommé est ainsi quasi intégrale en l’espace d’un an.
L’estimation précédente de cette "élasticité" est celle d’une relation directe entre le prix et le volume d’un produit consommé. Mais la consommation d'un produit peut aussi être touchée par des phénomènes d’arbitrage entre postes de dépenses quand l'inflation concerne l’ensemble des prix à la consommation, comme en 2022.
La sensibilité de la consommation des produits à l’évolution de leurs prix est en effet très hétérogène. Des arbitrages entre postes de dépenses peuvent intervenir. Ainsi sur la période récente, la baisse du volume de biens alimentaires consommés (-7,2%) est certes plus forte que celle subie par les produits d’habillement mais leurs prix ont aussi beaucoup plus progressé (+22,1%).
Relativement à l’alimentation, et alors que les "dépenses pré-engagées" des ménages représentent près d’un tiers de leurs dépenses et même plus de 40% pour les plus pauvres, les produits d’habillement apparaissent ainsi comme une consommation de second rang de priorité et donc susceptible de reports sinon d’annulation.
En raison à la fois de ces arbitrages qui leur sont défavorables et d’une évolution de prix de l’habillement tendanciellement plus faible que celle de l’ensemble des prix, le poids de la dépense en habillement dans le budget des ménages, également appelé son "coefficient budgétaire", a reculé de 4% en 2012 à 3,2% en 2021 et s’est probablement encore érodée depuis.
En 2022, selon les estimations de l’Insee, le pouvoir d’achat du revenu arbitrable (donc hors dépenses dites "pré-engagées" mais avant dépenses alimentaires) par ménage est inférieur de 0,8% à son niveau de 2010. Un nouveau recul est probable en 2023 et les anticipations par les ménages de l’évolution du niveau de vie en France sont des plus déprimées. Ce tassement du revenu réel contribue aux changements des comportements de consommation. En se doublant de l’affirmation de nouveaux modèles industriels tels que l’ultra fast-fashion, une profonde réorganisation des canaux de consommation de produits d’habillement au sens large s’opère. Ces mutations industrielles et commerciales se révèlent complémentaires et contribuent à l’émergence d’un nouveau paysage de la consommation de produits d’habillement.
Alors que le niveau de vie des ménages ne connaît au mieux qu’une faible progression et que les arbitrages budgétaires se révèlent défavorables à l’achat de produits d’habillement, le développement de la "seconde main" au travers des plateformes telles que Vinted permet aux ménages qui s’y adonnent de dégager des ressources. Celles-ci leur permettront d’acheter à leur tour des produits nouveaux dont le réassort se fait de plus en plus rapidement sous l’empire de l’influence et du modèle de l’ultra fast fashion. Cette dernière est ainsi tout autant un reflet de référentiels sous-jacents à la consommation de plus en plus instantanés et versatiles avec le rôle joué par les influenceurs qu’elle est promue par le développement simultané d’outils de l’économie circulaire.
Un secteur hyper sensible à l'inflation: Tribune de Denis FERRAND
Le Monde, édition du 22-23 octobre 2023