Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
Après trois années de stabilisation, les parts de marché de la France à l'exportation ont nettement reculé en 2020. S'il est encore trop tôt pour en déterminer le caractère structurel ou conjoncturel, cette rechute nous rappelle que la compétitivité reste le point faible de l'économie française. Sortir du cercle vicieux des pertes de compétitivité, de base industrielle et de revenus, exige à la fois de sanctuariser les allègements de coûts et d'agir sur le long terme pour renforcer les compétences et l'innovation.
• La rechute des indicateurs de la compétitivité vous semble-t-elle temporaire?
C’est une vraie interrogation. L’ampleur de la perte des parts de marché de la France en 2020 nous a étonnés, après le redressement des trois dernières années. Les prix des produits n’ont pas moins baissé qu’ailleurs, au contraire. La spécialisation sectorielle ne l’explique pas non plus, d’autant qu’il n’y a pas eu d’effondrement de notre production industrielle par rapport à nos voisins. Reste l’aspect des mesures de confinement, qui n’ont pas été plus restrictives en France qu’en Espagne ou en Italie.
Le caractère général de la perte de parts de marché est en outre inquiétant. Cela rappelle les années 2000, quand nous avons perdu du terrain par rapport à nos voisins. Il est encore trop tôt pour affirmer qu’il s’agit d’une perte de compétitivité structurelle plutôt qu’un simple trou d’air conjoncturel, mais la compétitivité doit rester un point de vigilance majeur.
• Comment la politique économique doit-elle évoluer pour redresser la situation?
On connaît la plupart des remèdes. Cela fait longtemps qu’on perd de l’activité industrielle et des parts de marché! Il y eut des politiques pertinentes qui ont été mises en place, comme le CICE et le pacte de responsabilité. Plus récemment, le gouvernement s’est attaqué aux impôts de production ; il ne faut surtout pas revenir en arrière. Car lorsque l’on améliore la compétitivité-coût des entreprises, on améliore aussi le hors prix - car elles peuvent non seulement baisser leurs prix, mais également investir pour monter en gamme. L’avantage de ces politiques, c’est que les entreprises y réagissent vite et les effets peuvent être relativement rapides.
• Et au-delà de la fiscalité quelles politiques mener?
Il faut aussi mettre en place des politiques de long terme, pour lesquelles les résultats demandent un peu de patience. La formation est évidemment un point essentiel, qui est identifié. Miser sur les filières scientifiques et techniques est crucial pour l’industrie de demain. Aujourd’hui, les études Pisa et Piaac sur les compétences, à la fois des jeunes et des adultes, sont préoccupantes. Les politiques d’innovation (intelligence artificielle, informatique quantique, transition énergétique…) doivent également être une priorité. Le plan de relance va dans ce sens. Toute la difficulté étant d’identifier les bons projets. On l’a vu avec les programmes d’investissements d’avenir qui existent depuis des années, il n’est pas toujours facile de sélectionner les bonnes idées et de décaisser l’argent.
Enfin, il faut mobiliser l’épargne vers le financement en fonds propres des entreprises. C’est un vieux serpent de mer, mais pourquoi ne pas concevoir des fonds d’investissement à capital garanti par l’État, via la création d’un fonds souverain, pour lever les réticences des épargnants à investir directement dans les PME et ETI innovantes?
• Le déclin de l’industrie française peut-il prendre fin?
Sur le temps long, la symétrie entre la chute de l’activité industrielle française et la chute des parts de marché est frappante. Progressivement, il y a eu un phénomène d’attrition de la base industrielle avec la hausse du coût du travail du début des années 2000. C’est un phénomène profond, on voit mal aujourd’hui l’économie se réindustrialiser sans amélioration nette de la compétitivité. Il faut reconstruire un tissu ; c’est un processus très long et pourtant essentiel pour enrichir le maillage économique des territoires au-delà des grandes agglomérations.
• Tous ces chiffres montrent-ils un déclassement de la France?
En Allemagne, le modèle de croissance auto-entretenue par la compétitivité industrielle génère des sources de progression de pouvoir d’achat. En France, nous sommes dans un cercle vicieux: la perte de compétitivité a contribué au tarissement d’une source de croissance et de revenus. La stagnation du pouvoir d’achat s’est traduite en demandes de transferts publics - on l’a vu avec les "gilets jaunes" -, qu’il faut financer par des prélèvements qui pèsent à leur tour sur la compétitivité. Bref, c’est une spirale perverse, dont on n’arrive pas à sortir.
Propos recueillis par Marie Visot
A lire dans : Compétitivité: l’inquiétant déclin de l’industrie française, Le Figaro du 18 juin 2021