Focus
Perspectives économiques à court terme
Pour faire face au double enjeu du redressement des comptes publics et du financement de l'économie française et des grandes transitions (climatique, numérique,...), Denis Ferrand et Michel Cicurel proposent un "deal" entre l'Etat et les retraités, en particulier les plus aisés d'entre eux. Echanger l’économie de dépenses publiques associée à la moindre voire à la non revalorisation de leur pensions, contre un meilleur rendement de leur épargne grâce à la garantie publique du capital investi dans des entreprises.
Avec 30 milliards d’euros à trouver pour boucler un budget dont le déficit atteint 5,4% du PIB, il est difficile d’exonérer qui que ce soit de l’effort collectif.
Un débat très vif se cristallise autour des retraites, puisqu’elles représentent un quart de la dépense publique et pèsent 14,4% du PIB en 2022, soit 2,5 points de plus en moyenne que dans la zone euro. Mais, au même titre que le maniement uniforme du rabot sur les dépenses publiques de l’État soulève rapidement des oppositions catégorielles, la proposition d’une désindexation uniforme des retraites a finalement abouti à la chute du gouvernement Barnier.
Des voies de passage existent pourtant, pour peu que l’on élargisse la question des retraites à l’enjeu plus général du financement de l’économie et des grandes transitions (climat, numérique, IA, santé) auxquelles le pays doit faire face.
Ne nous le cachons pas: les obstacles sont nombreux. Ils tiennent à la difficulté de trouver rapidement une solution paramétrique, puisque le recul de l’âge fait scandale, ou une solution plus systémique que serait un régime par points et le développement souhaitable mais urticant de la capitalisation.
Cette urgence se confronte également à une accélération des sorties de capitaux des résidents français. Ceux-ci ont ainsi acquis pour près de 100 milliards de dollars de titres du Trésor américain et pour plus de 50 milliards d’euros d’actions d’entreprises américaines en l’espace d’un an. Dernier paramètre mais pas le moindre: même si l’inflation a baissé, désindexer totalement les retraites aurait un probable coût social élevé.
Nous proposons de réconcilier ces différents enjeux en proposant un "silver deal".
D’un côté, les retraites continueraient d’être indexées sur l’inflation, mais jusqu’au niveau de la retraite médiane. Elles seraient ensuite indexées à hauteur de la moitié de la hausse des prix pour les retraites du troisième quartile des retraités et totalement désindexées pour le dernier quartile. La mise en œuvre de cette "barémisation", plutôt que la revalorisation uniforme de 2,2%, aurait permis une économie de dépenses de 4,6 milliards d’euros cette année.
Le taux d’épargne brut des plus de 70 ans se situe à 25% de leurs revenus, contre 18% pour l’ensemble des ménages. Concentré en haut de l'échelle des revenus, ce patrimoine fait la part belle aux placements sans risques.
La population "perdante" à cette désindexation épargne beaucoup. Le taux d’épargne brut des plus de 70 ans se situe à 25% de leurs revenus, contre 18% pour l’ensemble des ménages, avec une concentration sur ceux qui font partie du haut de la distribution des revenus.
Dans les années 1980, le patrimoine financier culminait à 55 ans. Il continue désormais d'augmenter après le départ en retraite pour se stabiliser vers 75 ans. Mais la ventilation du patrimoine des retraités par classes d’actifs fait la part belle aux placements sans risque sur des contrats d’assurance-vie ainsi qu’aux livrets. En proportion de leur épargne, les retraités sont donc aussi peu exposés aux valeurs mobilières que les catégories plus jeunes!
Le second versant de notre "silver deal" consisterait alors à échanger l’économie de dépenses pour l’Etat associée à l’indexation, par une garantie publique du capital investi par l’épargnant dans des entreprises, en particulier non cotées, qui répondent aux priorités nationales en matière de transitions. Cette garantie de l’épargne productive serait plafonnée par exemple à 100.000 euros.
Combinée à l’espérance d’un gain sur un investissement risqué, cette garantie permettrait d’augmenter les revenus de l’ensemble des ménages capables d’épargner, une catégorie surreprésentée parmi les retraités qui sont ceux dont le niveau de patrimoine financier est le plus élevé de la population. La garantie amorcerait ainsi un cercle vertueux avec l’augmentation de l’ensemble des revenus d’activité par l’investissement et la croissance.
Au final, le régime des retraites est la meilleure entrée de ce concept de l’État garant en substitut d’un État exclusivement dépensier, d’autant que sur un portefeuille diversifié et sur la durée, la garantie pourrait bien ne rien coûter voire être source de revenus pour la puissance publique
Michel Cicurel (économiste et fondateur du fonds La Maison) et Denis Ferrand (économiste, directeur général de Rexecode)
> Point de vue paru dans Les Echos le 3 février 2024
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