Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
La nouvelle Assemblée nationale et le futur Gouvernement de la France ne pourront s'exonérer du passé. En hausse depuis plus de 50 ans, la dette publique a atteint 110% du PIB en 2023. Sa charge creuse mécaniquement le déficit public, qui à son tour augmente la dette, si bien que sa stabilisation exigera un effort important de réduction de la dépense publique dès 2025, a fortiori dans un contexte de croissance faible. Or, la plupart des mesures avancées lors de la campagne électorale ont un coût budgétaire élevé et se traduiraient par un déséquilibre encore plus marqué des finances publiques.
Le ratio d’endettement public, qui était faible et à peu près stable à moins de 20% jusqu’au milieu des années 1970, tend à augmenter depuis par vagues successives. Son décollage correspond au choc pétrolier et à la rupture de croissance qui a suivi. Le taux de croissance tendanciel de l’économie a été à peu près divisé par 2, passant de 5% par an à 2,5% l’an, et depuis quelques années, à un peu plus de 1% par an
Les charges d’intérêt reflètent la montée de l’inflation et des taux d’intérêt des années 1960 jusqu’au milieu des années 1980, puis son reflux jusqu’à la période toute récente, désormais interrompu. Les réactions budgétaires aux chocs économiques occasionnent des pics de déficits de plus en plus marqués (-2,9% en 1975, -3,2 % en 1986, -6,4% en 1993, -7,4% en 2009, -8,9% en 2020) que les gouvernements parviennent de moins en moins à corriger.
Même lorsque le déficit est ramené à moins de 3% du PIB, la dette publique augmente moins, voire se stabilise, mais le poids du passé sur le niveau de la dette n’est pas pour autant effacé. D'autant que les politiques budgétaires n’ont pas de façon générale profité de la baisse des charges d’intérêt pour réduire la dépense mais au contraire l'ont plutôt "recyclée".
De fin 2017 à fin 2023, la dette publique au sens de Maastricht augmenté de 839 Md€. C’est la plus forte augmentation en six ans depuis 1960, un peu au-dessus de l’accroissement observé entre 2007 et 2013. Les déficits cumulés de la période 2017-2023 constituent l’essentiel de cette augmentation, le solde résultant de mouvements de trésorerie.
L’accroissement de la dette, soit 770 milliards d’euros, s’explique en partie par les mesures exceptionnelles, en dépenses et en recettes, mises en œuvre pour répondre à la pandémie de Covid-19, puis au choc des prix du gaz et de l’électricité après le déclenchement de la guerre en Ukraine.
La nouvelle Assemblée Nationale devra faire face au défi de la dette. Pour éclairer les orientations possibles, quatre scénarios illustrent des évolutions possibles selon les hypothèses économiques envisagées.
Si la croissance reste sur son rythme tendanciel de 1% par an, la stabilisation du ratio d’endettement ne pourrait être obtenue qu’au prix d’une réduction de la dépense publique de 60 milliards d’euros dès 2025
- Dans l’hypothèse de la poursuite de la croissance au rythme tendanciel de 1% par an (scénarios 1 & 2), sans réduction de la dépense (scénario 1), la dette publique augmenterait une nouvelle fois de 1000 milliards au cours de la législature. La stabilisation du ratio d’endettement ne pourrait être obtenue qu’au prix d’une réduction de la dépense publique de 60 milliards d’euros dès 2025 (scénario 2). La hausse du taux de prélèvements obligatoires au delà de 44% aurait quant à elle un impact négatif sur la croissance comme on l'a constaté en 2012-2013.
- Une croissance annuelle de 1,5% (scénario 3) à 2,0% (scénario 4) permettrait de stabiliser la dette à 110% du PIB et de dégager des marges supplémentaires (de respectivement 50 Md€ ou 100 Md€ à horizon 2029 dans le scénario 1 ou 2) afin d’investir pour la décarbonation notamment . Les politiques économiques rendant possibles de tels scénarios ont été esquissées dans Faire de la décarbonation un levier de croissance (Rexecode, document de travail, avril 2024).
Dans les limites d’une croissance faible, il est illusoire d’espérer stabiliser la dette publique, dépenser pour la transition climatique et augmenter le pouvoir d’achat. Il reviendra aux instances politiques de choisir les priorités, aux économistes de s’assurer de la cohérence entre les moyens et les objectifs, et de préciser le contenu d’une politique de croissance.