Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
Quels sont les principaux défis à relever par l’union dans les prochaines années ? Selon Michel Didier, le défi crucial pour les pays de l'Union européenne, qui conditionne la réponse aux autres défis, est la volonté ou non d'agir ensemble. Or les divergences entre pays se sont accentuées depuis deux décennies, les écarts de compétitivité se sont creusés, avec à la clé des écarts de niveau de vie et une défiance envers l'Europe.
Les défis à relever par l’Union européenne dans les prochaines années sont nombreux, beaucoup concernant l’ensemble des pays développés: vieillissement de la population, impact du numérique sur le travail, ralentissement des gains de productivité, changement climatique, migrations.
Le défi crucial, spécifiquement européen et qui conditionne la réponse aux autres défis, tient au fait que l’UE n’est pas une simple liste de nations indépendantes, mais pas non plus un Etat fédéral, loin s'en faut. Le projet européen s’est construit sur trois libertés de circulation: celle des hommes, des marchandises et des capitaux. Le projet politique est de créer un espace de vie commune et de rapprocher les populations.
Sur cette base, l'UE devait apporter puissance et prospérité. Mais aujourd’hui beaucoup de citoyens européens considèrent que cette promesse n’est pas tenue. L’Eurobaromètre montre que l’économie est au cœur de leurs préoccupations. C’est un fait, les niveaux de vie divergent, de même que les dynamiques de compétitivité et les rythmes de création de valeur.
• L’Europe de la production diverge et avec elle, les niveaux de vie des européens
De 2000 à 2018, l’Allemagne a gagné 3 points de part de marché à l’exportation par rapport à la zone euro, l’Italie et la France ont perdu près de 4 points, l’Espagne est stable. Or, chaque point représente 52 milliards d’euros. Un recul de 4 point, c’est plus de 200 milliards d’euros perdus, soit 6 points de PIB pour la France en raison de la divergence de compétitivité. Avec à la clé des conséquences sur le pouvoir d’achat.
De 2000 à 2018 le pouvoir d’achat réel moyen des ménages a gagné 15 points en Allemagne, il a stagné en France et même diminué de 10% en Italie. C’est dire les écarts de niveau de vie qui se sont créés entre les populations européennes.
Certains suggèrent que l’Allemagne augmente sa dépense publique pour stimuler l’économie européenne. C’est un argument recevable en théorie mais cela ne règlerait pas la question de la divergence de compétitivité. Celle-ci vient des écarts d’efficacité de l’offre productive et non de la demande publique.
• Face aux défis mondiaux, les pays européens ont plutôt aggravé leurs différences
La politique de l’énergie avait constitué la matrice de la construction européenne avec la Communauté du charbon et de l’acier (CECA, 1952) puis Euratom. Les pays de l’UE ont fait depuis des choix divergents, l’exemple le plus manifeste étant celui de l’Allemagne et de la France sur la question du nucléaire.
Il n’existe pas de grandacteur du numérique à l'échelle européenne face aux deux géants mondiaux et leur volontarisme industriel et le risque de décrochage technologique est important.
Concernant l’industrie, il y a bien une intégration des chaines de valeur en Europe mais elle tourne autour de la puissance industrielle allemande, sur la base d’une relation donneur d’ordre-fournisseur. Aujourd’hui l’Allemagne elle-même s'interroge sur son devenir industriel dans un contexte de pénuries de main d'oeuvre, d'accélération des tensions salariales, de hausse des prix de l’énergie et de concurrence internationale agressive.
• Soutenir l'innovation et avancer sur l'harmonisation fiscale
L’Europe sera probablement obligée de faire évoluer ledroit de la concurrence pour mieux défendre les producteurs européens, mais il faut de la concurrence. Elle devra aussi mieux tenir compte de la stratégie des acteurs extérieurs (Chine, Etats-Unis) qui soutiennent leur production nationale par une combinaison d’aides publiques et de tarifs douaniers.
L’Europe devrait mieux exploiter son potentiel productif et construire un système d’innovation, comme les Etats-Unis, pour financer les innovations de rupture et favoriser le capital-risque. Sur ce plan la réforme de la fiscalité du capital a mis fin à une anomalie française. Cependant, la question de l’harmonisation du cadre fiscal parait aujourd’hui très insuffisamment adressée. Il faut être bien plus ambitieux que le rapprochement de l’IS. Le poids total de la fiscalité de production représente ainsi 9,7% de la valeur ajoutée en France contre 4% en Allemagne. Cet écart pèse sur les coûts de production. C’est un élément significatif de la divergence de compétitivité.
Intervention de Michel Didier sur le thème des "Défis économiques en Europe"
Table ronde organisée par la Commission des affaires économiques de l'Assemblée Nationale le 15 mai 2019
Avec :
- Roland Lescure président de la Commission des affaires économiques
- Michel Didier, président de Rexecode
- Michel Aglietta, conseiller au CEPII
- Jean Pisani-Ferri, professeur d’économie à Science Po