Focus
Perspectives économiques à moyen terme
Le montant du déficit public en France chiffré par l'Insee pour l'année 2024 à 5,8% du PIB est très supérieur à la prévision inscrite dans le projet de loi de finances de l'automne 2023, laquelle a été revue plusieurs fois à la hausse. Pour la commission d'enquête de l'Assemblée Nationale sur la fiabilité des prévisions budgétaires pour 2023 et 2024, Olivier Redoulès a exposé l'approche de Rexecode en matière de prévisions macroéconomiques avant de rappeler que le principe de prudence doit guider aussi bien la prévision que la gestion budgétaire.
L'Insee a publié ce 27 mars les premiers résultats des comptes nationaux des administrations publiques pour l'année 2024. Le déficit public pour 2024 s’établit à 169,6 Md€, soit 5,8% du PIB. Il était initialement prévu à 4,4% dans le PLF 2024 présenté à l'automne 2023. Il est un peu inférieur à la prévision affichée dans le PLF 2025 (6,1%). Pour l'année 2023, le déficit est estimé à 5,4% du PIB, contre 5,0% prévus dans le PLF 2023 présenté à l'automne 2022.
Ces deux dernières années, la prévision de déficit budgétaire retenue dans les projets de loi de Finances s'est avérée très inférieure à la réalité malgré plusieurs révisions intermédiaires à la hausse. Après la Commission des finances du Sénat au printemps 2024, la Commission des finances de l’Assemblée nationale s’est dotée des pouvoirs d’une commission d’enquête "afin d’étudier et de rechercher les causes de la variation et des écarts de prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024".
Olivier Redoulès, directeur des études de Rexecode, a été auditionné dans ce cadre le 28 janvier 2025, aux côtés de Laurent Bach, co-responsable du pôle Entreprises de l’Institut des politiques publiques (IPP), et de Xavier Ragot, président de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). La vidéo et la transcription de son intervention sont disponibles sur le site de L'Assemblée Nationale. Quelques extraits de son intervention, qui éclairent l'approche de Rexecode en matière de prévisions macroéconomiques et ses recommandations pour les prévisions budgétaires.
Rexecode réalise des prévisions macroéconomiques chaque trimestre afin d’éclairer ses adhérents et clients. Ces derniers sont juges de la qualité de nos prévisions et libres de nous retirer leur confiance et leur financement.
En tant que petite équipe, notre méthode diffère de celle de la direction du Trésor. Nous veillons surtout à avoir des comptes cohérents entre eux, entre agents économiques, ce que l’on appelle un "bouclage" en macroéconomie. Ensuite, nous essayons d’intégrer au maximum l’information, qui est souvent publique à l'instar des enquêtes de l’Insee, mais aussi privée, afin d’établir un chiffre de croissance ou de consommation pour l’année passée.
Ce cadrage trimestriel repose aussi sur des intuitions macroéconomiques. C’est là où le jugement d’experts peut jouer. Par exemple, nous avons fait l’hypothèse, qui s’est vérifiée, peut-être pour de mauvaises raisons, que les ménages ne réduiraient pas leur taux d’épargne, et qu’ils chercheraient plutôt à préserver la valeur réelle de leur patrimoine. De fait, cette hypothèse que nous avons émise au moins depuis 2022 nous a conduits à avoir une vision très modeste de la croissance de la consommation des ménages, qui cherchent plutôt à maintenir un taux d’épargne élevé.
Rexecode est régulièrement auditionné par le Haut Conseil des Finances Publiques (HCFP), comme l’OFCE ainsi que l’Insee et la Banque de France. Les prévisions qui ont été présentées au HCFP dans le cadre de la préparation du PLF 2024 ont été réalisées en septembre 2023. Notre prévision de croissance, qui était alors beaucoup plus faible que celle du Gouvernement, s’est finalement révélée trop faible pour 2024. Cependant, nous avions plutôt de bonnes prévisions sur la consommation.
Nos prévisions se sont révélées trop pessimistes essentiellement sur la dépense publique et sur les exportations, qui sont deux postes qui, certes, engendrent de la croissance, mais pas forcément autant de recettes fiscales. Pour mémoire, le Gouvernement avait une prévision de croissance de la consommation pour 2024 de 1,8%, ce qui est très élevé. Il avait aussi choisi une prévision de 1,4% de croissance du PIB au moment du PLF, bien supérieure au consensus, comme le HCFP l’a rappelé à maintes reprises. Au-delà de ce chiffre, "l’histoire" n’était peut-être pas complètement la bonne: faire baisser assez fortement le taux d’épargne et en faire un moteur de croissance était un pari hasardeux.
Sur les finances publiques, sans viser le niveau de détail de l'IPP, nous essayons de suivre les comptes et nous avons vu, par exemple, que la TVA devenait de moins en moins décryptable. Au vu de la situation mensuelle budgétaire, nous avions de moins en moins de possibilités de réconcilier cela et d’y voir une logique. Il y a sans doute eu des choses qui étaient perturbées, à la fois par le comportement des agents, mais aussi par le mécanisme même des impôts. Ils se sont ajoutés par ailleurs à d’autres éléments plus macroéconomiques: l’inflation perturbe forcément à la fois le comportement des agents et la dynamique fiscale. Nous avons été surpris par la bonne tenue des entreprises fin 2022, et d’autres mouvements ont perturbé la lecture des comptes fiscaux et sociaux. On peut penser à la fin d’un certain nombre de mesures exceptionnelles, et, de manière générale, à la fin d’une période exceptionnelle qui était le Covid et qui nous concernait encore en 2023.
Eviter tout volontarisme. Retenir un écart de production négatif, autrement dit un potentiel de rebond très important et spontané de l’économie, devrait être beaucoup plus argumenté qu’aujourd’hui. D'autant que cette pratique est assez systématique, il suffit de regarder les derniers programmes de stabilité ou la loi de programmation de finances publiques. En pratique, on s’est souvent trompé sur le potentiel de l’économie, on l’a souvent surestimé.
Ne pas compter sur un rehaussement de la croissance potentielle à l’horizon de la prévision. Certes, il est possible de prendre des mesures qui vont rehausser la croissance potentielle, par exemple la réforme des retraites, mais ces mesures sont en général très difficilement programmables. Il est très difficile de dire dans quelle temporalité ces effets seront vraiment visibles. La prévision est encore plus incertaine s'agissant des recettes fiscales qu’elle procurerait. Enfin, un dernier point est d’éviter tout ce qui relève de l’intention, du "non documenté".
Le HCFP fait très bien son travail. Il a émis plusieurs alertes, à la fois sur le scénario macroéconomique et sur les soldes budgétaires. Il faudrait peut-être lui donner plus de poids, par exemple en matière de communication. Il pourrait s’autosaisir, ce qui n’est pas le cas et semble une exception française. Il pourrait aussi animer un débat sur la prévision macroéconomique et budgétaire, sur le modèle des "commissions économiques de la nation" aux quelles participait Rexecode et dont Denis Ferrand m’a vanté les mérites. Faut-il donner au HCFP la mission de valider explicitement les projets du Gouvernement ? Pourquoi pas ? A minima, il serait possible de soumettre le Gouvernement à un exercice de comply or explain, en cas d’écarts ou de réserves du HCFP.
On peut aussi accroître l’implication des organismes extérieurs pour apporter une expertise à condition de leur fournir un accès aux données et des moyens, car il s’agit d’un sujet complexe. Il faut acquérir une expertise et il ne faudrait pas rajouter du bruit au débat. De manière générale, j’insiste et je rejoins totalement Laurent Bach sur le besoin et l’intérêt de plus de transparence.
Les prévisions restent soumises par essence à l'incertitude et nous savons que le risque associé n’est pas complètement symétrique: en cas de bonne surprise de croissance, ce n’est pas si grave alors qu'une mauvaise surprise enclenche un certain nombre de difficultés. On pourrait donc imaginer avoir des réserves financières et, de manière un peu plus stricte, avoir des mécanismes de correction.
> Mardi 28 janvier 2025 à 16h30, la commission des finances dotée des pouvoirs d'une commission d'enquête a poursuivi ses auditions avec l'audition de Laurent Bach, co-responsable du pôle Entreprises de l’Institut des politiques publiques, de Xavier Ragot, président de l’Observatoire français des conjonctures économiques et d’Olivier Redoules, directeur des études de Rexecode